« J'avais quatre ans quand la guerre a commencé ».
François, gottenhousien depuis sa naissance, est assis à table, une tasse de café dans la main. Il fouille dans sa mémoire, ouvre tous les tiroirs où sont enfouis ses plus anciens souvenirs. Il part en quête des images de la seconde guerre mondiale.
« A l'époque
d'avant-guerre, l'armée française était logée aux frontières »
raconte-t-il. « Je me souviens encore des railleries des
soldats. Ils se moquaient de nous parce que le seul mot qu'on savait
dire en français, c'était « oui » » ». Il
ajoute : « Les soldats français étaient à Gottenhouse.
Je m'en rappelle très bien. Quand on allait faire boire les bêtes à
la fontaine, on les croisait. »
Bien que très jeune au
moment des événements, François garde encore beaucoup de souvenirs
de cette période si sombre. Il ne comprenait peut-être pas tout ce
qui se passait quand il était petit, mais les images sont encore là,
dans sa mémoire, les gens, les défaites, les victoires. Ce sont
tous ses souvenirs, cette magnifique mémoire des anciens, qu'il faut
recueillir, conserver, car ils constituent, tous ensemble, des brides
de la grande Histoire.
« Hubert*, un
habitant de Gottenhouse, était très proche des allemands, de la
wehrmacht. Il est décédé vers 1940. Le jour de son enterrement,
beaucoup de hauts pontifes de l'armée étaient présents. Il
neigeait beaucoup ce jour là, et je me rappelle que les soldats
allemands avaient déblayé toute la rue jusqu'au cimetière du
village. Son cercueil avait été décoré du drapeau nazi. »
François raconte les
premières années de la guerre. La défaite française ne l'a pas
marqué, ni l'arrivée des allemands. Cependant, il se souvient que
plus le temps passait, plus la vie au village se dégradait. Et pour
cause : « Le fils d'Hubert, André*, était un nazi
convaincu. Dès qu'on avait des nouvelles du front, dès que les
allemands fêtaient une victoire, on devait sortir les drapeaux. Ceux
qui ne le faisaient pas risquaient d'être envoyés à Shirmeck ! (ndlr : au Struthof, camp de concentration de Natzweiler) »
Très rapidement, ce
petit village campagnard, qui comptait moins de deux-cent habitants,
a sombré dans la peur. François continue : « André
était souverain dans le village, il faisait la pluie et le beau
temps ! Il a fait interner tous ceux qu'il n'aimait pas.
Martine* (autre habitante du village) m'a un jour raconté qu'il
l'avait forcé à s'exiler en Dordogne. Il lui a donné deux heures à
peine pour partir, simplement parce qu'elle refusait de l'épouser ».
Il ajoute : « André et sa famille ont profité de la
guerre pour s'enrichir. Ils étaient les premiers du village à avoir
des toilettes modernes ! »
Le collabo de
Gottenhouse n'était pas le seul à effrayer la population en tentant
d'instaurer une glorification terriblement malsaine d'Hitler et de
son armée : « Il n'y avait pas d'école à Gottenhouse,
on devait aller à Otterswiller. Notre instituteur était un vétéran
de la première guerre mondiale. Mais un obus avait dû lui retourner
le cerveau, il était fou ! A chaque victoire allemande, on
devait sortir dans la cour et se mettre au garde à vous devant le
drapeau. »
Extrait du bulletin municipal de Gottenhouse Année 2001. |
En dépit de cette
lourde présence de la collaboration, François ne se plaint pas :
« On n'a manqué de rien, parce qu'on était à la campagne. La
vie à la ville devait être beaucoup plus dure ». Néanmoins,
« il fallait faire attention à tout, car tout était très
réglementé. »
Quand on lui demande
s'il avait peur des allemands et de la guerre, il répond :
« Non. On était tellement jeune, on ne comprenait pas tout. Et
puis, on ne savait pas ce que c'était, la peur. »
Il ajoute « Il y
avait des réunions de la hitlerjugend à Gottenhouse, mais ni mes
frères ni moi ni avions été enrôlés car nous étions trop
jeunes ». « Il y a des malgré-nous de Gottenhouse qui
sont partis au front russe. Ils étaient six. On ne les a plus jamais
revus », déclare François.
Celui-ci se rappelle
surtout de la libération. Tout d'abord, les bombardements :
« Quand ils ont bombardé le Zornhoff, ils ont aussi lancé des
bombes sur Otterswiller, par accident. » Il ajoute : « On
voyait les soldats anglais mitrailler les locomotives allemandes sur le pont
d'Otterswiller. On était quelques uns à jouer dans le champ de
patate, on s'est caché, on était à 200 m ! ».
Finalement, « les allemands ont fait sauté avec de la dynamite trois arches du
pont ».
« J'ai vu les
américains. Ils nous ont offert des cartouches de cigarette, des
chewing-gums, de la réglisse et du chocolat. Ils se sont invités
chez nous. C'était des grands amateurs de schnaps ! »
rigole-t-il.
« Nos parents sont
allés à Saverne pour participer à la liesse de la libération,
comme beaucoup de monde alentours, mais nous, les jeunes, sommes
restés au village ».
Extrait du même bulletin municipal |
Il se rappelle aussi du
sort réservé aux collabos : « La FFI est venue et a
ramassé André et sa famille. Ils les ont mis sur la place du
village. Ils ont subis la revanche. Ils ont été très fortement
molestés. On leur tapait dessus avec des ceinturons. J'avais neuf
ans, je comprenais ce qu'il se passait. » André a alors été
emmené à la gare de Saverne où on l'a forcé à s'exiler. Il est
parti en Dordogne.
« Je me souviens aussi du premier 14 juillet qu'on a fêté juste après la guerre ! C'était une belle fête, nous étions tous joyeux, pleins d'espoir. »
Extrait du même bulletin municipal |
Après la guerre, André
est revenu au village. « Il n'a pas été accueilli »,
dit François en se rappelant qu' « il est toujours resté
en retrait. Il a toujours été très germanophile ». Martine
aussi, cette femme contrainte de fuir son village à cause d'un amour
mêlé de haine, est revenue et compte bien passer toute sa vie dans
sa chère maison.
* : Les prénoms ont été
changés.
Le lieutenant Vayne annonce la libération de Gottenhouse. Image tirée du même bulletin municipal. |
Extrait du bulletin municipal de Gottenhouse. Année 2001. |
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