lundi 9 juin 2014

Leanka Platt : rencontre électrique avec une tatoueuse indécemment talentueuse

C'est dans son shop, Lucky-Electric Tattoo, que j'ai rencontré la plus que fameuse Leanka.
Des papillons, des roses, des têtes de mort, des serpents et de belles femmes dénudées, bien rangés dans leurs cadres, toisent le visiteur. Me voici donc dans le temple du tatouage strasbourgeois. Lustres et dorures amènent une amusante touche de kitsch dans cet univers ultra coloré, marqué par un rouge affriolant et un rock'n'roll modernisé, totalement désinhibé.
Assise, Leanka dessine des motifs. A grands coups de rouge et de noir, elle esquisse trois fleurs aux contours bien nets et marqués, géométriques.
Plus que son cou et ses bras tatoués, avec ces grandes lignes noires, mais aussi ces étoiles, hirondelles et autres motifs floraux, c'est la douceur tout transparente de ses yeux si clairs qui impressionne. Elle est pleine de mystère, cette tatoueuse dont la réputation a franchi depuis longtemps la frontière rhénane, démesurément originale et assurément charmante.
Dans cet article, en plus d'évoquer son parcours personnel, elle nous livrera sa vision de la place des femmes dans le tatouage ainsi que son regard inquiet porté face à l'évolution de cet art qui est passé de la marginalité presque criminelle à une banalité particulièrement paradoxale.


"J'ai commencé à tatouer en 2004, professionnellement depuis 2006."
L'icône du tatouage "old school revisité" explique : "Je n'ai pas toujours eu pour envie de devenir tatoueuse. J'étais toujours un peu décalée dans mes choix. A l'école, je n'étais pas tout à fait comme les autres, mais l'envie d'être tatoueuse m'est venue plus tard. Peut-être que je ne serais pas toujours tatoueuse, je ne sais pas. En tous cas, j'ai toujours rêvé d'avoir un parcours artistique."
Cette femme captivante, gracieusement originale, véritable oeuvre d'art à elle seule, raconte : "J'ai fait quelques écoles d'art, des écoles privées, quand j'avais 16 ans, j'ai aussi suivi quelques cours du soir, mais c'est tout. Je n'étais pas très studieuse donc je ne restais pas très longtemps en cours. C'est plus l'envie de faire des choses par moi-même qui m'a poussé, qui m'a fait tenir."

Si Leanka a fait ses premiers pas dans l'immense monde des modifications corporelles en tant que perceuse, ce poste n'a pas suffit longtemps à cette demoiselle animée par un tel désir de créer. Son imagination, sa créativité, tout cet univers tellement esthétique et coloré qui gravite dans son âme, cherche par tous les moyens à s'exprimer, à sortir de cette coquille charnelle pour s'épanouir dans l'embellissement du réel. Couture, peinture, Leanka met son génie artistique au service de plusieurs arts avant même de tatouer, mais l'envie de prendre la peau comme support a vite surpassé les quelques réticences qu'elle avait à l'époque :
"Le fait d'être dans le milieu du tatouage, d'être toujours tout autour, bien sûr, ça m'a donné envie. J'étais aussi déjà tatouée moi-même. Mais au début, je pensais que c'était trop dur, que je n'y arriverais pas. Finalement, quand j'ai commencé, ça m'a tout de suite beaucoup plu. Et puis de pouvoir vivre de son art, c'est motivant !"
"Normalement, on fait un apprentissage. Personnellement, j'ai été suivie à l'époque par mon mari, c'est-à-dire Sasha Lehne. J'ai travaillé avec lui quelques années avant de devenir tatoueuse. Ça m'a permis de voir comment il faisait. Je faisais ses mises en place, ses stencils, donc tout ce qui était autour. Et après, au fur et à mesure, j'ai commencé à faire des tatouages sur moi-même, ensuite sur des amis puis sur d'autres personnes. J'ai appris beaucoup sur le tas, par moi-même. Pourquoi ça ne fonctionne pas, pourquoi ci, pourquoi ça ... J'essayais de trouver toute seule et en parlant avec d'autres tatoueurs."

Très vite, cette jolie rousse qui se laissait simplement guider par son instinct, ce formidable besoin de créer, cette envie dévorante de dessiner, arrive à maîtriser cet art ô combien ancestral qu'est le tatouage. Aujourd'hui, à la tête de son propre shop, Leanka est mondialement connue et les clients viennent de loin pour pouvoir laisser leur peau entre ses mains.
Cette sublime artiste est pourtant incroyablement modeste : "Ce n'est pas le but, je n'aime pas trop le succès. Parce que quand tu apparais dans des magazines, etc, tu seras la première qu'on va critiquer, tout le monde scrute ce que tu fais. C'est toi qui deviens l'exemple et je n'ai pas envie d'être l'exemple, je ne trouve pas que je suis la meilleure. Je trouve même que c'est étonnant ! Il y a de gens plus jeunes que moi qui tatouent beaucoup mieux, qui ont plus d'aisance ...
Non, vraiment, je n'aime pas trop cette place là, je préfère faire simplement mon travail, ce que j'aime faire, sans me mettre en avant. Moins on me regarde, mieux c'est. Bien sûr, j'aime ce que je fais et si ensuite ça permet qu'il y ait des gens qui viennent de loin juste parce qu'ils apprécient mon travail, c'est bien. Après tout, c'est ce qui compte, que des personnes aient de la considération pour ma façon de tatouer."

Leanka Platt est surtout appréciée pour son style qu'elle décrit ainsi : "C'est très coloré, mais je mets quand même beaucoup de noir car c'est ça qui va faire ressortir tout le reste. C'est un style qui est, à mon avis, hors du temps. Il vieillit bien. Il y a pas mal de styles en vogue actuellement, par exemple tout ce qui est très graphique, pointillé, abstrait, ou alors avec beaucoup de détails, qui risquent de mal vieillir. Et quelque fois, quand il y a trop d'informations, on a du mal à voir ce qui est représenté. J'aime bien, quand on regarde un tatouage de loin, qu'on voit facilement ce que c'est, que ça flash, que ça ait un impact. J'essaye de faire en sorte que le tatouage ressorte, qu'il se voie et qu'il puisse bien vieillir."
"Je fais des motifs qui sont la plupart du temps assez classiques, il y a beaucoup d'images qui portent bonheur, qui disent quelque chose, sans trop donner dans le narratif pour autant. Une encre, un cœur, ça veut dire beaucoup de choses, sans être trop."
Perfectionniste, cette tatoueuse aime les motifs simples mais colorés, et qui marquent les esprits. Elle évolue dans un univers artistique qui lui est propre, un mariage aussi subtil que détonnant, explosif autant que poétique, entre le monde du cirque, les arts ethniques ou encore toute l'esthétique des années 50. Elle explique : "Mon inspiration vient surtout de l'artisanat, des broderies, de l'art mexicain, chinois, bohémien ... Beaucoup de bois peint. Je regarde beaucoup de bouquins aussi."

Leanka évoque alors les demandes de ses clients : "Il y a beaucoup de demandes pour les hirondelles. On demande beaucoup d'oiseaux, de plumes. Mais aussi des lettrages, surtout les prénoms des enfants, des choses comme ça.
Il y a des vagues en fait. Et ces modes suivent pas mal ce qu'il se passe à la télé, comme les moustaches ou les écritures sur les doigts. Il y a aussi des demandes pour des styles polynésiens parce qu'il y avait des personnes connues par le biais de la télé réalité qui en portaient. Certains veulent aussi des bras complets en noir et gris dans le style un peu rockabilly ... Il y a beaucoup de demandes différentes, ça fonctionne un peu par période. Je trouve qu'en France on a quelques années de retard. Je ne devrais peut-être pas le dire ! Mais il y encore des demandes pour des motifs de style tribal au bas du dos alors que ça se faisait il y a dix ans ... "

Puriste et passionnée, Leanka met un peu de son âme dans chacun de ses tatouages tout en veillant à satisfaire au mieux les demandes des clients.
"Souvent le client vient avec une idée. Par exemple, s'il a envie d'une fleur, il va me montrer quelques exemples En fonction des images qu'il ramène, en fonction de l'emplacement, on fait toujours quelque chose de personnalisé. De toute façon, il y a mille manières de faire une fleur ! J'essaye toujours de pousser le motif un peu plus loin, d'essayer de nouveaux trucs pour que ça change toujours un peu."
"Quand un client me demande quelque chose, je fais de toute façon plusieurs motifs et ensuite on essaye sur l'emplacement. Pour ce qui est de la mise en couleur, ce n'est pas que je le fais au feeling, mais je trouve que telle couleur doit aller là, telle autre ici. En fait c'est le dessin qui me dit où je dois la poser. Avant, quand je faisais un dessin, j'essayais avec toutes les couleurs mais maintenant, à force d'en faire, je sais où tout doit aller, je sais ce qui fonctionne."
"Pour ce qui est des tailles, on me demande un peu de tout. J'ai pas mal

Leanka nous parle alors des tatouages qu'elle refuse de faire : "Je ne m'intéresse pas trop à ce qui est politique ou trop tendancieux comme les croix celtes par exemple. Si le tatouage n'est pas adapté et qu'il risque de mal vieillir, je ne le fais pas non plus. Ça arrive aussi que le client me demande trop de choses, par exemple : "je veux un serpent souriant, qui regarde une pomme, qui fait ci et qui fait ça", non. Je préfère me consacrer à l'esthétique. C'est tout le problème du côté symbolique. Quelque fois les gens viennent en disant "je veux quelque chose qui représente ci ou ça" mais sans me donner aucune image. Je n'arrive pas à cerner ce qu'ils veulent. Ce n'est pas à moi d'interpréter leur pensées, il faut qu'ils arrivent déjà à concrétiser un peu plus leur motif pour que je puisse le faire."
"Et puis j'éviterais peut-être de faire les mains ou le visage ou la nuque si c'est pour un premier tatouage. J'explique au client pourquoi, et il comprend. C'est assez courant actuellement qu'on me demande des petites choses visibles mais je crois que les personnes ne se rendent pas compte que c'est visible. Ça va être par exemple un petit dessin sur le poignet ou sur le doigt ...
Ils ne réalisent pas que ça peut leur porter préjudice par la suite. Ils voient ça comme quelque chose de banal qui ne risque pas de les déranger, mais en vérité, pour un employé de n'importe quel domaine, ça risque de poser problème, surtout pour les personnes qui sont au contact de la clientèle dans leur travail. Il y a quand même encore un mauvais regard de la société porté envers les tatouages visibles. Se faire tatouer un dessin visible, ce n'est pas une provocation mais c'est un choix qui peut être vu comme tel, qui peut choquer."

Alors que l'été pointe le bout de son nez, les tatouages, cachés tout l'hiver, semblent fleurir sur la peau bronzée des badauds égayés, comme si le soleil avait mis un terme à leur hibernation, comme si la chaleur avait fait fondre les barreaux de tissus, les libérant ainsi de leur prison vestimentaire. Il est étonnant d'ailleurs de constater le nombre de personnes tatouées, que ce soit la parfaite mère de famille, le cadre un peu strict, la bomba latina hyper fashion ...
Lucky Electric : la boutique de Leanka
Source : page facebook de Lucky-Electric Tattoo Strasbourg
Oui, étonnant, quand on songe au fait que tatouage a longtemps été avili dans le monde occidental. Il
s'agissait d'un acte ignoble, lié au vice, à la criminalité et à la marginalité. Stigmate des bad boys, il est devenu aujourd'hui un phénomène de mode, un bijou gravé dans la peau, une oeuvre d'art encrée sous l'épiderme. Un tel changement s'explique en partie par l'arrivée des femmes au sein d'une corporation de métier exclusivement masculine, longtemps uniquement constituée de soldats ou de prisonniers.
Leanka explique ainsi : "Je pense que c'est une très bonne chose qu'il y ait plus de femmes qui tatouent actuellement. Effectivement, on offre quelque chose de plus au tatouage en tant que femme. Ce n'est pas forcément de la douceur dans la manière de travailler mais une douceur dans les motifs. Les motifs changent grâce à ce renouveau féminin. Avant, les hommes étaient peut-être un peu plus tournés vers tout ce qui représente la mort, la vengeance, avec les serpents etc. C'était plutôt des motifs de "biker". Avec le mouvement féminin, on a quelque chose de plus ornemental, de plus fleuri, c'est peut-être aussi pour ça qu'il y a maintenant plus de femmes qui se font tatouer. Je ne suis pas féministe dans le sens où je ne me mets pas en concurrence avec les hommes, je ne tatoue pas mieux ni moins bien qu'eux. Disons qu'il y a quelques différences."

Plus que l'évolution des motifs, l'arrivée des femmes dans le milieu très fermé des tatoueurs marque un changement dans l'acte de tatouer en lui-même, dans ce qu'il représente aux yeux de tous : "A l'époque, quand j'ai commencé à tatouer, quand les hommes arrivaient, ils bombaient le torse, ils adoptaient une vraie démarche de macho parce qu'ils allaient chez le tatoueur. Et quand ils comprenaient que c'était moi qui devait les tatouer, ils étaient là : "Ah ! Mais non ! Ce n'est pas possible !" Car d'aller chez le tatoueur, avant, c'était un truc de macho. On buvait nos bières, on allait chez le tatoueur avec nos potes, ça faisait de nous des mecs.
Mais évidemment ça fait longtemps que je n'ai pas eu ce genre de réaction. La clientèle a changé. Si les mecs
Planche de tatouages "flash" par Leanka datant de 2007
Source : page facebook de Lucky-Electric Tattoo
veulent se sentir un peu "macho", ils vont plutôt aller dans un rassemblement de motards pour se faire tatouer par un tatoueur de biker, ils n'iront pas dans une boutique comme la nôtre."
Leanka précise pour autant que d'être une femme ne rime pas forcément avec l'afflux d'une clientèle majoritairement féminine : "Je ne crois pas avoir une clientèle plus féminine que les autres tatoueurs. Il y a un autre tatoueur dans cette boutique et il a autant de clientes que moi. Je pense en fait qu'il y a plus de femmes que d'hommes qui se font tatouer actuellement... Mais c'est peut-être une particularité de notre boutique, je ne sais pas ..."
Et quand je lui demande si, en tant que femme, elle tatoue avec plus de douceur qu'un homme, elle répond immédiatement : "Non !" en éclatant de rire. "Non, non ... En fait il paraît que je tatoue un petit peu fort mais si on veut que ça reste et que ça aille vite, c'est comme ça. On peut être douce, mais alors on va prendre quatre heures pour un motif qu'on peut parfaitement faire en une heure et demi. De toute façon, si un tatouage fait mal, que ce soit au niveau 6 ou au niveau 7, ça ne change pas grand chose. Pour que ce soit bien fait, et surtout avant que ça ne commence à gonfler, il faut aller vite et donc ça fait un peu mal."

Continuons de parler de l'évolution du tatouage à travers les âges en nous focalisant désormais sur l'aspect plus technique de cet art. En effet, si le tattoo a acquis aujourd'hui ses lettres de noblesse, s'est parce qu'il s'est nettement perfectionné tant du point de vue des motifs qui se sont complexifiés, diversifiés et embellis, que du point de vue de la technicité, de la finesse des lignes, du tracé des ombrages, de la variété des couleurs, l'un expliquant l'autre, bien évidemment.
Leanka note à ce propos : "Je trouve que les machines sont restées très basiques. En revanche les encres ont évolué et c'est positif. A l'époque on utilisait tout et n'importe quoi pour se tatouer. C'était souvent du caoutchouc brûlé avec de l'urine, que ce soit en prison ou dans la rue. Dans les années 90, on avait des encres de mauvaises qualités, qui se délavaient. Maintenant, les encres se sont nettement améliorées, elles sont plus sûres.
Et c'est vrai que c'est pareil pour les aiguilles. Avant, on était obligé de les souder, une aiguille après l'autre, on passait nos soirée à les souder ! Aujourd'hui, les aiguilles sont préfabriquées, on n'a plus à les faire nous-même et elles sont déjà stérilisées. C'est non seulement un gain de temps mais c'est surtout plus sûr pour le client puisqu'on ouvre tout devant lui. Sinon nous, pour tout ce qui est machine et tout ça, on n'aime pas trop les gadgets, on préfère rester dans le traditionnel, le basique."

Religieux, social, mystique, identitaire, le tatouage a rempli, à travers les siècles et les continents, divers rôles. Aujourd'hui, celui-ci est affiché par presque tous comme un choix purement esthétique. Le tatouage est devenu un phénomène de mode mondialisé et à la portée de tous. Les mêmes motifs peuvent se côtoyer indistinctement sur les peaux des marginaux comme des bourgeois, des ouvriers comme des artistes. On en viendrait presque à penser que, désormais, pour être original, il faudrait ne pas être tatoué.
Est-ce vraiment en direction de cet extrême que la société actuelle court ? Est-ce une bonne chose ou non, qu'un tabou se désacralise pour ne plus être qu'un objet fashion parmi d'autre, sans plus aucune spécificité ? Leanka partage pour nous son point de vue à ce sujet :
Source : page facebook de
Lucky-Electric Tattoo
"Comme dans tout courant, toute mode, il y a des choses qui me déplaisent. A commencer par le fait que tout le monde pense pouvoir devenir tatoueur, comme s'il suffisait de dessiner un peu et d'acheter des machines pour ça. C'est bien de se lancer, bien sûr, mais il y a des limites. Tout le monde connaît désormais quelqu'un qui tatoue chez lui, pour le plaisir. Ça devient banal.
En fait le problème c'est que, quand quelque chose est trop fait, ça devient ringard. Et je trouve que, quand on voit actuellement tous les tee-shirts qui ont des motifs de tatouage, les tatouages malabars, les publicités qui se servent de cet univers là... Quelque fois c'est un peu trop, on voit le tatouage partout, lui qui autrefois était caché, marginalisé. On perd tout l'esprit de ce qu'était le tatouage au début ... 
Disons qu'au début, si j'ai aimé le tatouage, c'est parce que je trouvais ça cool, c'était quelque chose qu'on ne voyait pas souvent. C'était un milieu vraiment fermé, réservé à certaines personnes, et c'est ça qui me plaisait tant. On avait peur d'aller dans une boutique de tatouage et ça, maintenant, c'est totalement fini. Ça devient peut-être trop populaire.
Je me demande où tout cela va aller. Si c'est comme ça maintenant, où est-ce qu'on en sera dans quelques années ? Ça me fait un peu peur ... Est-ce qu'on va bientôt avoir des imprimantes qui vont tatouer à notre place ? J'en viens à me demander si je ne devrais pas me mettre à effrayer les clients, mettre des panneaux "interdit aux hipster, interdit à ci, interdit à ça", pour pouvoir préserver le tatouage."

Ce glissement vécu par le tatouage de l'ombre à la lumière, de la marginalité à l'ordinaire, se vit également à travers les motifs ainsi que le raconte la tatoueuse :
"C'est vrai que le symbole infini, l'envolée d'oiseaux, le pissenlit, sont des motifs très jolis qui peuvent également avoir des significations importantes pour les personnes, mais tous les tatoueurs se plaignent actuellement du manque d'originalité des clients.
Pourtant, on commence tous par se faire un premier tatouage plutôt petit, banal, c'est une étape obligée. Alors on explique aux clients qu'il est déjà le dixième cette semaine à vouloir ce dessin. Ce n'est pas qu'on veut lui imposer un autre choix, on lui donne juste notre avis.
En fait quand quelqu'un commence avec un premier tatouage, il le fait parce qu'il veut être original, donc il va chercher un motif qui est selon lui original, tel que le symbole infini accompagné d'un lettrage "love" par exemple. Ce qui fait que, tout en restant original, il reste en fait pareil que les autres. 
Couverture de Tatouage Magazine (Année 2011)
Avec Leanka
Source : page FB de Lucky-Electric Tattoo
Les gens veulent se démarquer, mais ils n'osent pas non plus se montrer trop différent. Par exemple, si nous leur proposons un autre motif un peu plus original, pour changer, par exemple avec une tête de mort, le client refusera catégoriquement, parce que c'est trop pour lui. Quand quelqu'un se fait son premier tatouage, il veut une valeur sûre, être original mais pas trop. C'est comme pour les coupes de cheveux, les habits, on n'ose pas trop se démarquer parce que sinon notre entourage va nous critiquer."

Leanka ajoute toutefois : "On a tous une approche différente du tatouage et le tatoueur se doit de rester humble. Ce n'est pas parce qu'il a un avis différent du client qu'il ne doit pas le respecter. Même si j'ai une autre idée du motif, c'est lui qui va porter le tatouage à vie alors il faut avant tout que ça lui plaise. Si les tatoueurs se plaignent du manque d'originalité des clients, il ne faut pas oublier que ce sont eux qui nous font vivre. On a un boulot vraiment génial, et c'est grâce à eux, on doit être reconnaissant pour cela. Personnellement, j'ai de la chance car on me demande principalement des tatouages qui sont dans mon style. Mais ça arrive que des clients qui veulent juste un lettrage par exemple viennent me voir. J'ai beau les orienter vers d'autres tatoueurs très compétents, ils ont entendu parler de moi alors ils veulent absolument que ce soit moi qui les tatoue. C'est très flatteur."

Dans notre société de consommation, c'est l'éphémère qui règne en maître. Tout est jetable, cassable, remplaçable. Rien ne semble durer et c'est pourquoi je me suis toujours demandé si l'attention portée au tatouage ne découle pas d'une envie de lutter contre cette érosion du temps en portant sur sa peau une marque éternelle, un "toujours" qui signifie véritablement quelque chose. Afin de terminer cette interview, j'interroge donc la tatoueuse à ce sujet :
"Le fait qu'on ne puisse pas enlever le tatouage, ce n'est pas comme un bijou qu'on risquerait de perdre, ce n'est pas quelque chose qu'on peut voler, on est marqué à vie, c'est quelque chose de très poétique. Mais c'est aussi un aspect qui va repousser les gens, ils ont peur de changer, de ne plus aimer les mêmes choses dans cinq ans, ou que leur motif devienne ringard au fil des années. Donc ce côté "pour toujours" n'est pas quelque chose qui va vraiment attirer les gens mais au contraire c'est ce qui les fait hésiter.
Pour ma part, j'aime le fait que le tatouage va rester, j'aime le fait que ce soit l'une des seules choses qu'on ne puisse enlever. Je pense que tous ceux qui ont beaucoup de tatouages partagent mon avis. C'est aussi pour le côté esthétique, parce que les motifs sont beaux, ce sont comme des œuvres qu'on collectionne sur nous. Ça marque aussi des passages, des périodes de nos vies. On ressent le besoin de marquer cette étape pour ne pas l'oublier, pour s'en souvenir.
Si notre maison brûle, tout disparaît avec elle, les papiers, l'ordinateur, les photos, tous nos souvenirs. Si la mémoire flanche, on oublie tout, mais on aura toujours nos tatouages pour nous rappeler ce qu'on a vécu, qui on a été."

Page facebook de Lucky Electric Tattoo

Page facebook de Rock'n'art of Elsass pour encore plus d'artistes !

Viens par là, toi ! Autre article sur Seb, tatoueur alsacien !





1 commentaire: