dimanche 20 juillet 2014

Patrice Bucher : L'artiste-paillette aux milles et une facettes

J'ai rencontré Patrice Bucher un soir de répét', avec la compagnie Tournesol. Il tournait autour de nous comme un insecte, voltigeait, s'approchant, s'éloignant, multipliant les clic et les clac. Je me suis renseignée, on m'a dit que c'était lui qui avait fait la séance photo "grimaces" et qu'il en ferait une encore d'ailleurs, avec nous, sur le thème "grimaces et émotions".
Je me suis immédiatement dit : "voilà un photographe bien déluré". Son sourire amical et les étincelantes paillettes de ses yeux bleus tellement clairs m'ont poussé à m'intéresser à ce "sujet".
Mais Patrice n'est pas le genre d'expérience qu'on peut tenter d'analyser pendant des heures dans un laboratoire. C'est un homme de terrain, qui bouge tout le temps, et dans tous les sens. Il n'y a qu'à voir sa carrière, elle donne le vertige et le tournis et le mal de mer : écrivain, chanteur, peintre, photographe, magicien, animateur, directeur commercial, ...
Patrice est un génie volatile qui, par ses milles et une ailes graciles et ultra colorées, tente de s'approcher du soleil, jouer avec le feu, sans pour autant oublier la solidité du sol sur lequel il a tant de fois rebondi. Le sol, ses amis, son épouse, et toute la véracité de sa sensibilité.

Patrice Bucher
Portrait en mode "lapinou" par Daniel Riehl (document remis)
Patrice est le genre de personne qui vous donne le sourire rien qu'à le voir, tant l'humeur agréablement joyeuse qui l'entoure comme une aura est communicative.
"J'ai fait un disque à l'époque, un 45 tours. Je chantais. Du coup j'ai arrêté mes études de droit parce qu'on connaissait un petit succès. Ça s'appelait Billy The Kid ! C'était à l'époque où on sortait de "Il était une fois dans l'Ouest" avec les airs d'harmonica et tout ce qui va avec. Et le studio où on enregistrait, c'était à Karlsruhe, recherchait justement ces ambiances un peu western, ils ont ajouté cet arrangement là dessus et ça a bien marché en Allemagne, et en France aussi d'ailleurs. On avait vraiment beaucoup de succès et ça venait surtout du fait qu'on chantait en français. C'est vrai que les chanteurs français étaient très appréciés en Allemagne et en Angleterre aussi ... Parce que j'ai chanté dans le métro à Londres aussi ..."
Patrice parle de ces expériences-là sur un ton très détaché, sans en tirer aucune gloire, comme si tout un chacun avait déjà pu rencontrer madame Succès en personne et lui serrer la main. Il faut dire que cet artiste magnanime a le don de voir les qualités de chacun, tant humaines qu'artistiques, et il est toujours le premier à offrir des compliments sincères à ceux qui le méritent.
Si Patrice a flirté, dans la folle fraîcheur de sa jeunesse, avec Melpomène la chanteuse, il n'a pas pour autant négligé les charmes d'une autre muse, celle de la poésie. A tout juste 18 ans, il a publié un recueil de poèmes en proses : A cœur et à poings :
"Oui, j'ai sorti un bouquin quand j'avais 18 ans. En fait, quand j'avais 16-17 ans, mon prof de français, Jean-Paul Klee, qui était un homme de poids dans la littérature de notre région avant de devenir plus controversé, faisait parti d'une petite maison d'édition à Saverne qui s'appelait Poesia, La nouvelle poésie alsacienne, et comme il trouvait ce que j'écrivais plutôt intéressant, il m'a proposé de me publier."
Musique, écriture, mais aussi peinture et photographie, rien ne résiste au merveilleux talent de cet artiste pas comme les autres. Éternel amoureux de la création et de l'originalité, il embrasse avec la même séduisante réussite toutes les tentations artistiques, y compris la magie.

"Dans tous les domaines de ma vie, j'ai toujours fait des choses un peu différentes." déclare cet homme doté d'une personnalité féerique. Il n'a jamais voulu être comme tout le monde et cette recherche de l'extravagance esthétique va de paire avec son attrait pour le charme envoûtant du surnaturel.
Patrice pour son numéro autour du feu
Source : Dernières Nouvelles d'Alsace
Entré dans le très respecté Cercle Magique d'Alsace, il multiplie les numéros entre feu, catalepsie, illusions, avec toujours ce même attrait pour le fantastique. Pour la petite histoire, c'est au cœur de cet univers de paillettes que la magie de l'amour l'a frappé, puisqu'il y a rencontré sa femme, une danseuse avec laquelle il effectuait un spectacle d'illusion.
"Je ne sais pas si on peut parler de carrière ... Mais oui, c'est ce que j'ai fait de la manière la plus étendue, et avec le plus de résultat. Ça a très bien fonctionné, j'avais de beaux contrats. J'ai tout de même été intermittent du spectacle pendant douze ans. Ça plaisait énormément, on a fait des spectacles magnifiques ... Je faisais un numéro avec du feu, c'est celui qui a rencontré le plus de succès. Il n'y a pas beaucoup de monde qui a osé me copier ! Mais bon, une fois que tu as la technique, il n'y a rien de dangereux ..."
"Je faisais des numéros de clown également. C'était un spectacle pour enfants très interactif, on jouait ensemble en fait. Je n'étais pas le personnage au-dessus d'eux, j'étais avec eux, et je devenais rapidement leur copain. C'était pas le clown classique ! J'avais des dents de lapin, des pattes de yéti, ..."
C'est avec un vrai plaisir que Patrice évoque son parcours dans le monde du spectacle, son regard s'illumine à l'évocation de certains souvenirs qu'il partage avec son épouse : "Il y a un relationnel qui est fabuleux. On fait beaucoup de rencontres, on bouge beaucoup, on fait plein de trucs de fou ! On est aussi confronté à des tas de problèmes qu'il faut vite résoudre ... La magie c'est la magie ! Par exemple, on a participé avec ma femme à un festival d’illusions à Zurich, il y avait des strip-teaseuses, des dresseurs de pumas, d'alligators, ... C'était super, vraiment une très bonne expérience ..."
Vu depuis les coulisses, tout n'est pourtant pas si rose et l'ennui guette même les plus passionnés et les plus excentriques d'entre nous : "Il y avait des spectacles tous les jours donc au bout d'un moment ça devient répétitif. Et puis tu t'ennuies pendant la journée, alors tu traînes avec les autres artistes, tu bois des coups ...Ça fait aussi partie du spectacle ça, au bout d'un moment, ça devient très fonctionnaire, c'est toujours la même chose, le public, tu ne le vois même plus, parce que c'est toujours la même salle ... Tu en viens à mettre des croix sur le calendrier. "
Au bout d'une dizaine d'années, la fin de la magie se dessine pour ce couple peu ordinaire : "Mais c'était une autre période ... A un moment donné, on a freiné. Et à un moment donné, on a arrêté. Il y a un moment où se pose la question du renouvellement du matériel, des costumes, du camion ... Alors voilà ... On garde toujours la nostalgie de cette période-là ... C'est l'histoire du clown triste, quand les lumières s'éteignent, on rentre dans la masse. Le sol redevient gris béton. "

Intelligent, habile et curieux de tout, Patrice rebondi et se lance avec facilité dans une nouvelle carrière. Toutes les portes s'ouvrent pour cet ambitieux passionné : "Je suis retourné à l'école ensuite, j'ai fait l'équivalent de ce qu'était un bts à l'époque en action commerciale avec une spécialisation en marketing et à côté de ça je me suis également spécialisé en marketing direct. Il n'y en avait pas beaucoup qui faisaient ça à l'époque. Et ce qui me plaisait surtout avec le marketing direct c'est qu'on peut tout de suite mesurer le résultat de ses actions ... Mais je faisais des spectacles en même temps !"
"Chevaliers cathares" par Patrice Bucher
Marketing, spectacle mais aussi hypnose, il vit à cent à l'heure : "Je recevais des gens pour des consultations d'hypnose. J'ai fait une formation très complète à Paris avec un mémoire etc. Avec le recul, je me dis que c'est le truc que j'aurais dû continuer. Parce que je ne pouvais pas tout faire : le marketing, le spectacle plus l'hypnose, alors j'ai décidé d'arrêter cette activité-ci."
Et quand on lui demande comment il est entré dans l'univers "hypnotique", il explique : "C'était un très gros hasard. En fait je me suis toujours intéressé aux "choses parallèles", depuis que je suis tout gamin ... J'ai voulu arrêter de fumer alors je me suis rendu au salon de la qualité de la vie au Wacken et c'est là que j'ai rencontré un mec à un stand qui proposait des stages d'hypnose. Je suis donc allé le voir en lui disant que je souhaitais arrêter de fumer mais que je n'y arrivais pas
... C'était une rencontre extraordinaire ...
Il m'a tout de suite envoyé une paire de baffes psychologiques en me répondant "Mais pourquoi vous voulez arrêter de fumer ?" Alors bon, tu cherches des motifs, tu dis parce que ci, parce que ça, et il a tout démonté ... Suite à ça je me suis inscrit à un stage d'un week-end qu'il organisait à Strasbourg, ça m'a vachement intéressé. C'est là que tu réalises que c'est quelque chose de très technique, on a totalement démystifié tout le côté obscur parce que c'est vraiment scientifique. J'ai refait un autre stage le week-end d'après, et puis je suis monté à Paris. C'était vraiment sérieux, encadré, on faisait des expériences, etc."
Il s'interrompt alors et me dit en riant : "Ça se mélange un peu tout ça, ça ne doit pas être super clair pour toi ! Déjà que pour moi ce n'est pas super clair !" Comment dire ... Il est vrai qu'il est compliqué de suivre Patrice. Tous les arts s'entremêlent, tous les spectacles, sans oublier le marketing, la direction commerciale d'une entreprise de camping-cars, la direction régionale d'une boîte spécialisée dans la vente de matériels de cuisine ...
"La danse du temps"
Dans la série des "peintures bleues"
Dur, dur, de s'y retrouver car cet homme, qui se décrit à juste titre comme un "artiste schizo-frénétiques aux 37 personnalités artistiques différentes", mène une vie tourbillonnante où se mêlent indistinctement tant d'éléments, des dizaines d'horizons différents pour un même coucher de soleil. Son existence forme un tout et il est bien compliqué, voire même hasardeux, d'essayer d'en délimiter des phases ...
La peinture et la photographie servent de fil d'Ariane dans cet intrigant labyrinthe. Ces deux arts ne l'ont jamais quitté.
"J'ai fait beaucoup de choses en peinture, beaucoup de techniques et de styles différents. J'ai commencé au lycée, je faisais quelques gouaches ... Quand je faisais des spectacles de magie, je n'avais plus le temps donc j'ai un peu arrêté. J'ai repris ensuite et ça a vraiment bien marché à partir de 2001. J'ai fait une expo à Obernai où j'ai vendu plus d'une quinzaine de toiles en une semaine, beaucoup de peintures bleus mais aussi des ocres.
Ce sont des peintures faites dans le frais, tout est humide, une fois que ça sèche c'est fini alors il faut aller très vite. Tu mets juste un coup de couteau de peinture à un endroit bien précis et si tu l'as raté, tu peux tout recommencer.
Ça m'a permis de gagner beaucoup. J'ai fait des rouges ensuite. J'ai fait de grosses expos dans de belles galeries. Il faut trouver le bon endroit, où tu as le public qui apprécie ce que tu fais. J'ai aussi fait des choses beaucoup plus colorées, avec des effets de coulures et même des paillettes.
Mais c'est comme pour tout, à un moment donné, ça ne marche plus. J'aurais dû continuer les peintures bleus qui marchaient énormément, mais je n'aime pas faire tout le temps la même chose. Et c'est un problème ! Maintenant je ne peins plus tellement, parce que ça s'accumule vu que je ne fais plus d'expos, ça prend beaucoup de place ..."
Patrice nous parle également de la série de peinture réalisée suite à la tragédie des Twin Towers : " A cette
"Les funambules à la pyramide cassée" par Patrice Bucher
Dans la série réalisée suite au 11 septembre
époque je faisais de l'animation, c'est-à-dire que j'étais au micro, je faisais le podium.
Comme, de par mes spectacles et mon expérience de chanteur, j'avais l'habitude de parler en public, je me suis aisément lancé dans cette carrière-ci. Je faisais des podiums pour la foire européenne de Strasbourg par exemple et beaucoup d'autres salons. Je devais m'occuper de tout, l'animation, la sono, des centaines de cadeaux à distribuer. J'ai été repéré et pendant dix ans j'en ai fait énormément, c'était assez marrant. "
"Et donc j'ai appris en 2001 pour les tours jumelles alors que j'étais en train de faire une animation. On me l'a dit à l'oreille, je ne l'ai pas cru au début car c'est un milieu où on déconne tout le temps ... Je me suis alors mis à peindre pendant huit jours. J'avais fait beaucoup de croquis au crayon et au feutre de ces tours qui s'écroulent."
Du rêve nocturne bleu profond, délicatement mystique, au rouge éclatant, intensément violent, les formes étonnantes se mélangent, et dans ces fusions harmonieuses, parfois dérangeantes, des êtres se dévoilent à peine, enveloppés dans le mystère des couleurs et des tracés, des corps, des regards, ou simplement des ombres. L'essence même de ces peintures surréalistes semble n'être autre chose que la puissance des émotions, la tristesse, la colère, l'amour et toujours le rêve. Ces œuvres frappent l'esprit de celui qui les contemple, les larmes d'une ville détruite, les songes d'un autre univers, rien ne laisse indifférent. Le peintre dévoile son regard porté sur le monde et c'est cette même vision qu'il révèle lorsqu'il pose ses pinceaux pour se saisir de son appareil photo.

En effet, l'autre grande passion de notre fantastique artiste est la photographie. Tout jeune déjà, il s'amusait à figer des images en y ajoutant toujours sa petite touche de talentueuse bizarrerie : "A l'époque, tout le monde avait ce genre d'appareil-là, mes parents et mes grand-parents. Ce sont les appareils qu'on dépliait et il fallait regarder par-dessus, dans un miroir, c'était marrant ... Et donc de temps en temps on me le prêtait. Et à 14 ans, j'ai eu mon petit instamatic. Je m'amusais déjà à prendre des photos un peu "bizarres", prendre une vue à travers un feu, dans le brouillard, des choses comme ça ..."
"La nef du soleil"
Installation par Patrice Bucher
"La plupart des gens essaye de faire des choses qui ressemblent le plus possible à ce qu'on voit dans la devanture des magasins de photos, et moi non. J'ai toujours été un peu ouf ! Je n'avais pas d'ambition photographique, c'était juste comme ça, pour m'amuser."
Et quand on lui demande ce qui lui plaît vraiment dans la photo, il répond instinctivement : "Je vais te répondre, c'est très simple, c'est comme pour beaucoup de choses, c'est le bidouillage. C'est comme quand j'avais 14 - 15 ans sauf que maintenant tu peux faire beaucoup de bidouillages informatiques. Ce qui m'a toujours plu c'est l'expérimentation."
"Et je peux dire maintenant sans ambiguïté qu'il y a deux choses qui comptent le plus dans la photo, c'est tout d'abord la lumière. Et ça c'est aussi vrai pour la peinture, les contrastes violents, tout ça. Je travaille tout le temps avec la lumière, je la recherche de plus en plus. Le jeu de lumières, de reflets, ça fait tout. C'est ça qui m'intéresse. Et ensuite c'est la photo humaniste, les gens, les portraits, les expressions, les yeux. Même si je m'intéresse aussi beaucoup aux animaux."
"Mais je suis ouvert à toutes les expérimentations, notamment les photos abstraites. J'aime bien sortir de la photo traditionnelle. Ça m'amuse de faire du David Hamilton ou des choses comme ça. Mais on retombe alors dans un monde assez marginal, je veux dire qu'il y a peu de gens qui s'y intéressent. Pour la plupart, ils vont trouver ça flou, trop brun, trop rouge ou pas assez contrasté. Il n'y a que quelques artistes, des peintres ou des photographes, qui vont s'y intéresser."
A travers son appareil photo, ce n'est pas tellement le monde tel qu'il est que Patrice veut montrer, mais le monde tel qu'il le voit. A l'aide de logiciels comme Photoline, il s'amuse à métamorphoser le réel, transfigurer les paysages, sublimer les êtres.
"C'est ma caractéristique principale : faire les choses différemment des autres", résume-t-il.
Ce désir dévorant pour l'originalité se retrouve à travers l'exposition qu'il a réalisé pour les Originales Artistiques à Saverne de cet été. Son thème ? Grimaces et émotions.
"L'idée au départ, c'est tout simplement que j'en avais marre de faire des portraits où on dit : "souriez !" parce que les modèles ne sourient jamais. J'ai eu envie de faire le contraire, parce que je suis un peu provocateur quand même ! Au début je voulais faire faire des grimaces aux enfants. Parce que quand tu leur dis "Allez, fais-moi un petit sourire !", ils ne veulent jamais alors que quand tu leur proposes de faire l'idiot, ils sont toujours partant !"
Photo pour l'expo "Grimaces et émotions" au Originales Artistiques
(Devine quoi ! C'est moi !)
"J'avais donc proposé cette idée à deux communes mais ils n'étaient pas chauds. Je l'ai alors proposé à Christophe Niess qui a tout de suite accepté. Christophe, de toute façon, il est toujours partant ! Il m'a dit qu'il connaissait des gens qui seraient d'accord pour se faire prendre en photo en train de grimacer. On a alors fait une première séance photo au port puis avec la troupe du théâtre Tournesol et ça a débouché sur l'expo de soixante photos pendant les Originales Artistiques autour de la bibliothèque de Saverne. Le tout en ayant très peu de délais ! Les grimaces, ça fait des profils un peu particulier, je n'ose pas dire des gueules parce que c'est un peu péjoratif, mais voilà c'est quelque chose de fort ! Le but du jeu c'était d'interpeller. Que les passants se demandent : pourquoi il a fait ça ? comment il  fait ça ?"
Patrice nous parle alors de sa vision de la photographie : "On ne peut pas faire de belles photos n'importe où, mais on peut en faire n'importe comment. Il faut avoir un bon œil. Il y a des gens qui sont infiniment plus doués que moi, comme ma femme ou certains de mes élèves. Mais ce n'est pas grave, ça se travaille, on s'améliore."
Il ajoute : "La maîtrise technique est primordiale en tous cas. Si tu ne connais pas ton boîtier, si tu ne le maîtrises pas, tu passes à côté de 80% de tes capacités, quel que soit le boîtier, qu'il s'agisse d'un gros appareil photo ou d'un smartphone."
Je lui demande alors d'où vient, d'après lui, le fait qu'on prenne de plus en plus de photos de soi, de ses amis,"On fait de plus en plus de photos parce que c'est plus facile d'en faire, on a toujours son smartphone sur soi, c'est plus facile de les montrer aussi. Aujourd'hui, on prend une photo et on peut la partager instantanément sur les réseaux sociaux, la faire imprimer chez soi, alors qu'à l'époque il fallait les envoyer à la fnac et les récupérer une semaine après. Je pense que c'est une partie de la réponse."
Photo par Patrice Bucher du feu d'artifice du 14(16) juillet
à Saverne
des plats qu'on fait, et qu'on les partage instantanément sur les réseaux sociaux. Vivons-nous dans une société narcissique en quête désespérée d'une popularité numérique ?
"Il y a plusieurs choses là-dedans. Tout d'abord, ça révèle de nouveaux talents, des gens qui font vraiment de bonnes choses, parce que la photo est plus accessible et aussi dans la mesure où internet permet de révéler ces nouveau artistes. C'est une vraie révolution, on peut un peu comparer ce phénomène à ce que fut l'invention de l'imprimerie à l'époque."
"Mais il y a aussi un gros handicap : on poste très vite, trop parfois, sans avoir assez travaillé les photos. Je le vois notamment lorsque je fais des photos d'un concert. Déjà, les gens s'attendent à ce que tu mettes immédiatement les photos en ligne alors que la règle de base dit qu'il faut retravailler ses photos puis les laisser reposer une à deux nuits pour pouvoir prendre du recul. Alors on est tenté de poster les photos dans l'heure, pour répondre à cette attente, mais on le regrette ensuite."
Photographe déjanté, passionné, il explique avec sérieux tout le processus photographique : "La photo, ça se travaille, il y a un travail considérable derrière ! Il faut faire des retouches, ce n'est pas du bidouillage, c'est simplement pour optimiser le travail et présenter quelque chose de plus abouti que ce qui sort de la boîte, quelque soit d'ailleurs la boîte et le talent au moment de la prise de vue."
"Il y a une incompréhension des gens par rapport au processus photographique. Ce processus commence avec une intention photographique, quelque fois bien avant qu'on ait l'appareil en main, et il se termine lorsque la photo est présentée, c'est-à-dire qu'elle est passée par un logiciel de toute façon. C'est un processus complet, c'est un tout. La photo n'existe que quand elle est terminée et elle ne l'est qu'après être passée sur un logiciel."
"Regarde, je prends une photo, qu'est-ce que tu vois ? Une image. Et cette image, qui l'a fait ? L'ingénieur de chez Nikon qui a conçu l'appareil. Alors où est le photographe là-dedans ? A partir du moment où le photographe retravaille la photo sur l'ordinateur, il y met sa patte. J'estime que le photographe doit avoir la maîtrise complète sur tout le processus. Même le noir et blanc, c'est tout de même une altération de la réalité. C'est sûr qu'il y en a qui vont plus loin, qui superposent huit photos, etc, mais pourquoi n'auraient-ils pas le droit de le faire ? C'est de la création aussi. L'appareil photo est comme un pinceau qu'on utilise pour pouvoir créer une image."
Photo Patrice Bucher. Janvier 2014
A travers son art, cet homme qui veut peindre avec la lumière, utilise la photo pour transgresser la réalité, jouer avec elle, avec ses formes, ses couleurs et sa part d'ombre, pour créer de toute pièce un visuel, donner l'impulsion d'une émotion. Il fige un instant du présent et il le transforme à sa guise, là où l'emmène son cœur d'artiste.
Afin de terminer cette interview avec cet homme si drôle et atypique, au parcours hallucinant et au talent curieux de toutes lumières, je lui pose une dernière question. Prendre une photo, c'est aussi entrer en lutte contre le sablier de notre existence, jouer les Prométhée et déclarer la guerre à Chronos, c'est figer une brève seconde pour l'éternité. Tous les photographes, depuis les professionnels au fans de selfies, en passant par les clients des photographes, tiennent-ils comptent de cet aspect-là ?
"Je ne sais pas si les gens demandent tellement des photos, ils demandent surtout à faire des photos. Tu t'en rends compte d'ailleurs quand tu exposes. Souvent les gens viennent pour avoir des renseignements, ils te demandent comment tu fais ci ou ça, ils ne s'intéressent en fait pas tellement à ce que tu fais, ils cherchent juste des infos. C'est pareil pour la peinture d'ailleurs. Et les gens qui demandent des photos, eh bien, il y en aura de moins en moins. Parce qu'on explique au gens qu'ils peuvent faire les photos eux-mêmes, ce qui est vrai et faux en même temps. Ils le peuvent bien sûr mais dans une certaine limite. Souvent, ils sont déçus, notamment quand il s'agit d'un événement comme un mariage ou un baptême. Si c'est le cousin qui a fait les photos, on ne va pas refaire le mariage la semaine d'après sous prétexte que les photos ne sont pas assez bien."
Et pour ce qui est de son avenir ? Nul ne sait ce qu'il lui réserve, où sa talentueuse excentricité va le guider ... Il poursuivra certainement ses rêves de lumière à travers la magie de ses photos.


Quelques liens pour contempler les œuvres de Patrice :





Installation : Cathédrale de Lumière
Réalisée à partir de bouteilles en plastique


2 commentaires:

  1. alors ça … que dire … qui ne soit ni convenu ni poli ni à côté de ton attente … ni comundesmortels … que c'est un super article, un très beau travail qui sonne très juste, un pavé de maître … oui, tout ça chère Lucie mais ma réponse, ce sera celle que je vais faire dans mon blog, tiens … hé,hé … j'ai un peu de matière images et je vais tenter d'imaginer la matière texte … tu me tends une perche, là … MERCI à toi et encore BRAVO pour cette autopsie de mes rêves vivants passés et à venir :-)

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  2. Magnifique travail Lucie! j'éprouve beaucoup de sympathie envers Patrice et je suis en admiration au fur et a mesure que j'avance dans ma lecture.... !!!!
    Bravo Lucie! Bravo Patrice

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