mardi 22 avril 2014

Gravé dans la roche : rencontre avec Thomas Probst, tailleur de pierre

"La pierre est une matière noble qui a été crée par la nature, elle a des millions d'années ! A côté, nous, les hommes, ne sommes rien. Et pourtant, et c'est ce qui est impressionnant, nous avons le pouvoir de travailler la pierre, la nature nous laisse la travailler, lui donner des formes ..." Thomas Probst, tailleur de pierre depuis sept ans, à son compte depuis le 1° octobre 2011, nous parle de son travail, de son art, de sa passion.

Thomas Probst en plein travail

"J'ai toujours voulu faire un travail manuel. Mon père est bijoutier-joaillier, comme ma sœur qui a suivi son parcours, alors on peut dire que j'ai ça dans le sang ! J'ai toujours voulu faire quelque chose de mes mains et, si j'avais pu faire l'apprentissage dès l'école primaire, je l'aurais fait, j'aurais travaillé ! Déjà petit, je faisais des boucles d'oreille ou des petites bagues dans l'atelier de mon père. J'allais aussi chez le meilleur ami de mon père, vitrailliste d'art, pour faire des vitraux".
Thomas Probst nous accueille, à l'occasion de la journée des métiers d'art, à Marmoutier, en plein air. Tout vêtu de noir, recouvert de poussière, il impressionne par sa jeunesse, sa rigueur, sa maîtrise, et, surtout, sa passion. La taille de la pierre, plus qu'un simple gagne pain, est la flamme qui illumine sa vie, l'art qui a séduit son cœur et son âme.
"Après le collège, je me suis immédiatement lancé dans un apprentissage pour devenir charpentier. C'était mon choix de départ. Mais je me suis retrouvé dans une entreprise qui m'a complètement dégoûté du travail du bois, je ne voulais plus du tout en entendre parler ! Je voulais travailler une autre matière. Ma sœur m'a beaucoup aidé. On a regardé ensemble les pages jaunes, etc. Elle-même faisait sa spécialisation en tant que joaillière, il y avait des tailleurs de pierre avec elle, on a donc pensé à ça. Je me suis beaucoup renseigné, j'ai regardé des vidéos, j'ai fait des recherches, ... Ça m'a tout de suite plu ! Ça m'a vraiment tapé dans l’œil, c'était limite l'illumination !"
Thomas Probst est alors sélectionné pour faire son apprentissage au près de l'Oeuvre de Notre-Dame. Sur les 25 personnes qui ont postulé cette année-là, seules deux ont été retenues. Cette illustre fondation existe depuis le bas Moyen-Âge et, depuis cette époque, elle est en charge de la très délicate et ô combien magnifique mission de veiller sur la cathédrale de Strasbourg.
C'est au sein de cette très prestigieuse école, "la meilleure en France pour apprendre ce métier" dixit notre jeune artiste, que Thomas apprend les bases du métier. 
Après sa formation il devient salarié au sein d'une entreprise et se spécialise un temps sur les chantiers.
Il part ensuite pendant un an à Nantes : "C'était surtout pour voir d'autres sortes de pierre. Chaque région a différentes sortes de pierres, avec une certaine dureté, une certaine qualité, ... Là-bas, c'était surtout du calcaire comme du tuffeau. Et il existe des techniques de taille propres à chaque région."
Revenu en Alsace, il rejoint encore quelques temps la première entreprise à l'avoir embauché avant de finalement décider de se lancer en tant qu'auto-entrepreneur. 
"Au début, je dois dire que j'ai fait une sorte d'entreprise-blues, un peu comme un baby-blues ! C'est énorme de gérer une entreprise, il faut faire le travail de compta, de marketing, de commerce, mais aussi gérer les chantiers ... C'est un ensemble, et je fais tout de A à Z. Il faut aussi se faire une notoriété, arriver à se créer un nom. C'est pour ça que je participe à des expos, des journées des métiers, etc. Tu dois aussi te constituer un book ... De toute façon, dans le milieu de l'artisanat, ce qui fonctionne le mieux, c'est le bouche à oreille. Si un client est content de toi, il va en parler autour de lui, c'est comme ça que ça marche". 
"Je travaille surtout pour des particuliers ou des communes ... En tant qu'auto-entrepreneur, je gagne peut-être moins qu'avant, mais, au moins, je suis là pour le client, je le respecte, je respecte le travail que je fais pour lui."
Thomas explique : "La plupart des entreprises qui peuvent embaucher à l'heure actuelle misent tout sur la production et non plus sur la qualité. Les ouvriers ne sont que des numéros à qui on demande toujours plus de rendements sans se soucier de leur santé ..."
Justement, le tailleur de pierre exécute un travail très physique : "Les pierres sont lourdes, on travaille en extérieur, on est tout le temps dans les intempéries. Et puis on travaille souvent au sol, on se pète les genoux ! J'ai déjà vu des ouvriers qui, à 30 - 35 ans, sont obligés de mettre des ceintures dorsales pour pouvoir porter les pierres, parce qu'ils n'ont pas fait attention à leur santé ..."
Ce côté physique est aussi ce qui a séduit Thomas : "Ce que j'aime dans mon métier, c'est que c'est physique, c'est manuel. Mais c'est aussi mental car il faut réussir à passer d'un dessin en 2D à une pièce en 3D. C'est très complet et c'est ça qui est chouette."
Des étincelles plein les yeux, il explique : "On peut être passionné dès le départ, mais on peut aussi le devenir. Et, si on est passionné, on peut aller très loin. On peut vraiment tout faire grâce à cet art ! Regarde, ce qu'ils ont fait sur la cathédrale de Strasbourg, c'est magnifique !"
Face à son gros bloc de grès des Vosges, l'artiste se concentre. Il imagine des formes, des arrondis, des angles, des motifs floraux, ... Il prend les mesures. Il sort toute sa ribambelle d'outils. Il se met lors à taper. Un coup, deux coups, trois coups, ... Le travail est long, tellement minutieux. Les éclats de pierre volent tout autour de lui. Thomas est dans sa bulle, dans son monde de grès et de sculptures. Concentré, et heureux, tout simplement. Peu à peu, à force de coups, la pierre se métamorphose, elle se transforme en une oeuvre d'art ...
Thomas précise : "En plus de mes prestations pour les communes ou les particuliers, je fais aussi des travaux personnels, j'essaye de faire des pièces beaucoup plus compliquées et plus travaillées que ce qu'on peut me demander habituellement comme un encadrement de fenêtre etc ... En tant que tailleur de pierre, on peut vraiment tout faire. C'est un métier noble. C'est un art très ancien ... J'aime l'idée de pouvoir travailler la pierre. De pouvoir en faire quelque chose de magnifique."
Avec humour, ce jeune artiste si modeste et sympathique raconte : "Les personnes ne se rendent pas compte du boulot que c'est. Parfois, ils viennent me voir en me demandant : mais c'est quoi ? Du bois ? Du béton ? De la terre cuite ? De la glaise ? Et je leurs réponds que non, c'est de la pierre. Je suis tailleur de pierre ! C'est pourtant le plus vieux métier du monde, déjà à la préhistoire les hommes taillaient de la pierre ! "
Il ajoute : "Les gens ne se rendent pas compte que c'est un métier qui existe encore, qui est encore présent. A partir du moment où il y a de l'architecture, il y aura toujours des tailleurs de pierre. Ce n'est pas un métier qui est en train de mourir. Et ce qu'on fait, nous, c'est prévu pour que ça tienne le plus longtemps possible."
Des balustrades aux encadrements de porte, c'est comme si Thomas donnait vie à la pierre. Par sa force, par son talent, il crée toutes sortes de blasons, de bas-reliefs, de sculptures. Des blocs de grès rouges, roses ou encore blancs naissent des volutes toutes douces, des ornementations incroyablement fines, mais aussi des fleurs, des grenouilles et même des lions.
"Je travaille surtout le grès, étant donné que c'est une pierre locale. Je peux aussi travailler des pierres plus molles comme le calcaire. En revanche, pour les pierres plus dures, comme le granit ou le marbre, c'est plus difficile. Il faut un autre matériel qui est plus cher. Et puis chaque pierre a sa propre technique. Les techniques de travail et de pose sont vraiment très vastes !"
Thomas nous explique son travail : "Je commence par étudier le projet puis je fais le devis. C'est très important, il faut vraiment tout étudier, je ne peux pas me permettre d'oublier quoi que ce soit".
Il commande ensuite les pierres auprès d'une carrière : "Il faut faire très attention à la qualité des pierres, on ne peut pas se permettre de travailler sur du deuxième choix, surtout pour les éléments qui sont en extérieur. Le grès se travaille vraiment bien. Ce n'est ni trop mou, ni trop dur, c'est juste comme il faut."
Outils du tailleur de pierre
Source :
http://picapedrer.blogspot.fr/2011/09/outils.html
Les outils qu'il utilise sont très nombreux. Tout d'abord, le maillet : "J'utilise un maillet circulaire pour travailler la pierre. La seule matière qui peut attaquer le grès c'est le métal ou le caoutchouc. A l'époque, les tailleurs de pierre utilisaient des maillets en bois mais il s'usent vraiment très vite."
"On a tout un panel d'outils avec différentes largeurs. Le peigne est un outil de dégrossi ou de frappe. La chasse est aussi un outil de frappe. Il peut fendre la pierre en deux parce que la force est répercutée. Il y a aussi des outils de taille. La charrue est un outil de finition, il permet de créer le charruage."
Frappe après frappe, la pierre prend forme. Pour la dompter, il faut du temps et pas mal d'efforts : "Pour un encadrement de fenêtre basique, d'1m16 sur 1m16, où il faut juste charruer et faire quelques feuillures, il me faut deux à trois jours. Pour ce qui est des éléments plus travaillés, tout dépend ..."
Si Thomas travaille en moyenne de 8h à 18h, il explique : "J'ai déjà travaillé en été jusqu'à ce qu'il fasse nuit, donc vers 22h, j'ai même travaillé le dimanche aussi. A la fin, c'est sûr, je suis rincé, mais si je suis en retard, je n'ai pas le choix. Ça, c'est évidemment pour les chantiers. Ça se passe rarement comme on veut, on tombe souvent sur des surprises, des éléments usés qui nécessitent plus de travail. C'est tout de suite plus long que prévu. Mais ça se fini toujours bien !" Rigole-t-il.
Thomas Probst fait aussi bien de la rénovation que de la création, en fonction des demandes de ses clients : "Rénover et créer sont deux choses différentes. Rénover ça veut dire suivre à l'identique quelque chose qui existe déjà. Ce qui est positif, c'est qu'on n'a pas trop à se creuser la tête ! On prend les cotes et on reproduit."
Élément de réseau d'une balustrade
du XV° siècle en grès rouge bigarré
"Pour ce qui est de la création, on est totalement libre, on peut faire ce qu'on veut ! Si le client vient avec une idée, je peux lui dire "Tiens, si on ajoutait ça ou ça, ce serait encore mieux !" Tout se passe là-dedans, dans la tête. Si on a les moyens, on peut vraiment faire des trucs gigantesques ! On joue avec la créativité. Je le dis toujours, l'artisan et l'artiste sont différents. L'artisan suit des plans et des mesures. L'artiste crée des choses qui lui ressemblent, il laisse exprimer sa personnalité."
Avec son sourire habituel, le jeune homme explique : "Je fais essentiellement de la rénovation. Ces derniers mois, j'ai rénové beaucoup de calvaires à la demande des communes, mais aussi le fronton d'une chapelle. J'en suis vraiment heureux car ce sont des travaux important. Et puis c'est sympa, ça me botte !
Il ajoute : "J'ai toujours voulu faire la rénovation de chapelles ou de calvaires. J'espère vraiment pouvoir me développer dans la rénovation d'éléments religieux. C'est un patrimoine très ancien, qui a une forte valeur religieuse et sentimentale. En plus, certains calvaires datent du XVII° voire du XVI° siècle ! Ils sont imposants, il y a beaucoup de sculptures et ils sont souvent bien travaillés. C'est incroyable de pouvoir toucher à ça, de pouvoir les rénover !"
"A l'heure actuelle, avec mon niveau, je suis déjà content de pouvoir travailler sur des calvaires ou des petites églises. J'espère pouvoir un jour créer des sculptures pour l'abbatiale de Marmoutier par exemple, ou la cathédrale de Strasbourg ! Ce serait génial !"
"J'espère pouvoir faire ce métier jusqu'à la fin de ma vie ! Je n'imagine tout simplement pas faire autre chose. J'adorerais réussir à me développer dans la rénovation de monuments historiques ..."
Fort de son talent, fort de sa passion, Thomas Probst continuera à tailler la pierre, à rénover, à créer. avec l'honneur des traditions, le respect des matières, et une belle authenticité, ce jeune tailleur de pierre a assurément une belle carrière qui l'attend. Il continuera à la tracer à grand coup de maillets, de ciseaux et de peignes pour finir par un joli charruage.
Le travail de Thomas Probst
Pièce du concours "Un des meilleurs apprenti de France" en grès rouge uni
Thomas a obtenu la médaille de bronze dans la catégorie régionale






Retrouvez Thomas Probst à son atelier de Knoersheim et sur son site :



http://www.thomasprobst.fr/