dimanche 22 mai 2016

Dah Conectah : la rime comme "une arme de poing qui délie les langues"

Dah Conectah est un rappeur installé à Strasbourg. Il vient de sortir son premier EP, L'hiver arrive, un petit bijou de son, et surtout de poésie. Observateur de la société depuis sa bulle d'oxygène, il se sert de sa musique, sa prose magnifique, pour faire réfléchir, nous pousser à nous poser des questions, sans concession, sur nos pensées, sur ce qu'on fait, ou non. Il compare son micro à un stéthoscope capable de retranscrire les battements de son coeur.

Bienvenue, cher lecteur, dans la scène hip-hop strasbourgeoise, et l'univers de Dah Conectah, entre spleen et idéal ... 


L'hiver arrive
Le premier EP de Dah Conectah

"Le hip-hop ? Je connais depuis que je suis tout petit. Mon grand frère en écoutait pas mal. Alors j'en ai écouté aussi, tout simplement, du US surtout, mais aussi du IAM ou du Assassin."
"A 15 ans, j'étais dans mon premier groupe de hip-hop - reggae, le Satire Crew. Quand le groupe a splitté, j'ai continué mon chemin seul."
"J'ai fait le parcours inverse de l'artiste ... J'ai commencé par la scène bien avant de monter un quelconque projet, donc L'hiver arrive est réellement le premier."

Dah Conectah est un amoureux du hip-hop et, surtout, des musiques à texte. S'il rappe depuis plus de dix ans, ce n'est qu'au mois de mai 2016 qu'il a décidé de sortir son premier projet : L'hiver arrive, un EP poétique, mélancolique, doux et amer, triste mais fort, sublime, brillant.
Calme, souriant, Dah Conectah répond avec naturel et gentillesse à toutes mes questions. Quand il parle de la scène, on sent pleinement la fulgurante passion qui l'anime..

"Bien sûr j'apprécie tout dans le hip-hop, tout cet univers, toutes ses disciplines ... Je me suis moi-même essayé au beat-making par exemple, mais j'ai préféré me focaliser sur l'écriture."
"Mais j'écoute vraiment de tout, j'ai des influences qui viennent de plein de styles très différents. Tant que la musique me fait bouger la tête, c'est que c'est bien ! Je pense vraiment qu'il faut être ouvert aux autres, d'autant plus dans le hip-hop, car c'est un style qui mélange beaucoup de choses ... Ça me paraît logique de s'intéresser à ce qui se fait ailleurs ..."

Et qu'est-ce qui lui plaît tant dans le hip-hop ? "L'écriture m'intéresse depuis longtemps, c'est ce qui me plaît le plus au final. Je préfère la musique à texte à la musique à son. J'écoute les deux, évidemment, mais c'est vraiment la musique à texte qui m'a fait percuter, qui m'a donné envie de m'y mettre moi aussi."
Dah Conectah
(photo prise sur sa page facebook)
"Le hip-hop est un moyen d'expression qui peut être très influent. Il permet d'exprimer ta propre vision du monde, de dire des choses qu'on n'a pas l'habitude d'entendre, notamment dans les médias traditionnels. Ça permet vraiment de différer de tous ces discours, ces clichés qu'on nous offre, pour apporter une pensée différente, qui t'est propre."
Dans L'hiver arrive, Dah Conectah se fait observateur de la société, de la ville. Il dépeint certains personnages, des émotions, l'hypocrisie, la jalousie, la passivité, mais, surtout, il pose des questions :
"Je suis plus dans l'abstrait, les images. J'aime faire réfléchir, donner des clés pour penser, des indices sans jamais tout livrer en entier. C'est vraiment là-dedans que je me complais, j'aime agiter des choses, les faire miroiter, sans jamais complètement les donner."
"Je suis quelqu'un de souriant, j'aime l'humour, mais c'est vrai que dans mes textes, cela ne se ressent pas du tout, bien au contraire ! C'est comme si c'était une toute autre part de moi qui s'y exprime. C'est une forme d’exutoire aussi."

Il est vrai que les rimes de Dah Conectah sont sombres mais surtout franches et percutantes. S'appuyant sur ce qu'il voit, sur son vécu, il dépeint l'état de la ville, les causes et les conséquences de nos existences, dénonçant l'injustice, l'intolérance, les vérités de façade, la passivité des personnes qui se perdent dans les carcans d'une vie dénuée de sens et de bonheur ...

Il nous en dit un peu plus sur L'hiver arrive : "Mon premier EP a entièrement été produit par Goomar. J'ai l'habitude de bosser avec plein de DJ mais là je souhaitais qu'il n'y en ait qu'un pour donner une couleur unique au projet, qu'il forme comme un bloc. Je l'ai commencé en novembre de l'année dernière et il est sorti début mai. Il a été enregistré et mixé par Nano du label 3rd Lab. On peut dire que c'est un projet qui a été fait en famille, car j'ai travaillé avec des amis."
"La pochette a été réalisée par un Seku Ouane, un graffeur strasbourgeois qui est excellent, je suis fan de son boulot !"
Une précision s'impose (il fallait quand même qu'on en parle !) :"Alors à propos du titre, L'hiver arrive, ça n'a rien à voir avec Game of Thrones contrairement à ce que tout le monde s'imagine ! C'est plus une référence à un vieux morceau des années 70, When the winter comes ... Mais ce n'est pas dérangeant qu'on pense que le titre vienne de là, je trouve ça très drôle en fait !"

Dah Conectah au Beats'n'Vibes.
Crédit photo : Boris Merccion
Si Dah Conectah voue une passion à l'écriture, la scène aussi sait faire battre son cœur.
"C'est parfois compliqué au début, quand la salle n'est pas encore motivée, mais une fois que tout le monde est dedans, c'est génial ! J'aime discuter avec le public entre les morceaux, rebondir sur un truc qui vient juste de se passer devant moi, ... Cette part d'impro est super marrante ! J'aime ces moments de partage, de bonheur ! "
"J'ai fait mes premiers gros concerts avec Géabé que j'ai suivis pendant 4 ans. Ma première grosse scène, c'était quand on avait fait la première partie d'IAM, c'était vraiment marquant, parce que ce sont des personnes qui m'ont incroyablement influencé, qui m'ont donné envie de faire du hip-hop !"
"Il y avait aussi mon premier concert au Molo avec Dooz Kawa, la salle était pleine, on a halluciné, il y avait une ambiance de folie !"
"Mais il y a plein de petits concerts qui sont aussi très chaleureux. C'est même mieux parce que, contrairement aux grandes salles, tu peux voir le public, ses réactions, et interagir avec lui. Et ça, c'est vraiment top. De toute façon, j'adore faire de la scène, à chaque fois c'est cool !"
"Il y a pas mal de dates à venir ! Pour la fête de la musique je serai sur la Presqu'île Malraux, le 23 juin ce sera au Molo, le 25 juin aux Soirées d'été à Molsheim, ..."

"Le 12 août je participe au Demi Festival à Sète, organisé par Demi-Portion. Je sais déjà que ça va être une scène inoubliable ! Demi-Portion a organisé ça lui-même et il a invité tous les rappeurs français qu'il connaît, donc en gros tout le monde ! En 15 minutes, toutes les places étaient vendues alors qu'il n'avait fait aucune com', il avait juste crée un événement facebook ... C'est génial, ça prouve qu'on peut y arriver, tout en restant en plus indépendant !"

"Les concerts de rap souffrent encore d'une image extrêmement négative, alors qu'il y a chaque fois une super ambiance ! Je me souviens d'un concert au Django Rheinardt, il y avait un public très hétéroclite, des jeunes de 7-8 ans aux sexagénaires, et on a eu d'excellents retours ! Beaucoup de gens ont découvert notre musique, notre univers, et ils ont été agréablement surpris. Ils ont changé d'idée à propos du hip-hop, ils ne s'arrêtent plus aux caricatures qu'on leur sert habituellement."



Dah Conectah et Dooz Kawa
Coup de Trafalgar - Février 2016
Crédit photo : Ludo Pics Troy

On en vient à évoquer la mauvaise réputation qui colle à la peau du hip-hop :
"Il est toujours compliqué de redorer une image alors qu'il est si facile d'en décrier une ... C'est déplorable ..."
"Ça m'est déjà arrivé d'être confronté à des personnes qui déconsidèrent totalement le rap. Dans ce cas là, j'essaye de comprendre pourquoi, d'expliquer que la réalité est différente ... Mais si je me retrouve face à un mur, je ne me bats pas, je ne suis pas là pour casser des briques. Ça ne m'atteint pas plus que ça."
"Il y a eu une longue période de disette, de 2005 à 2011 environ. On a perdu la spécificité du hip-hop français, on s'est perdu dans une musique qui ne rime à rien, qui ne nous fait pas avancer. Maintenant beaucoup de personnes reviennent vers les chansons à texte, y compris des jeunes qui ne savent pas que ça a déjà été fait avant !"
"Je ne suis pas un dictateur de la musique à texte. J'adore l'instrumental ! Mais je suis content que cette forme revienne car j'aime quand le hip-hop est là pour dire des choses, pour moi, c'est ce qui est vraiment important."
"Je préfère les musiques intellectuellement intéressantes aux albums qui te font perdre des neurones quand tu les écoutes."
"Il y a des textes qui sont dangereux. Pas pour les adultes comme nous qui savons faire la part des choses, mais pour les jeunes, or c'est justement le public visé. Les jeunes intègrent ces paroles, ils les assimilent, ils ne font pas preuve de recul. Ils prennent tout simplement ce que les médias leur proposent, sans chercher ailleurs. Ces musiques là sont débilisantes, elles ne te permettent pas d'avancer dans ta vie."
"A côté de ça, il y a énormément de rappeurs qui mériteraient plus de visibilité, qui auraient besoin d'un coup de pouce ... Mais ce ne sont pas auprès de la majorité des médias qu'ils vont trouver de l'aide. Pour passer sur les grosses chaînes, il faut rentrer dans les standards, accepter de faire des compromis, des sacrifices. Les médias préfèrent montrer ce qui va marcher à coup sûr,  parce que ça rentre dans le moule, plutôt que de révéler des nouveaux talents qui font des choses différentes."

Dah Conectah au Trafalgar (2016)
Crédit photo  LKL Prod - Laurent Khrâm Longvixay


Et vu qu'on est quand même sur Rock'n'Art of Elsass ici, je ne peux pas m'empêcher de lui demander de m'en dire plus sur la scène hip-hop locale :
"Actuellement, à Stras, et même ailleurs, il y a une réelle unité entre les rappeurs, on est dans le même esprit, on veut changer la façon dont on voit le hip-hop, redorer l'image du mouvement."
"Il y a une scène vraiment importante à Strasbourg. On forme comme une grande famille : on se connaît tous, nos projets ont la même prod, ... On pense même à créer un plateau strasbourgeois qu'on pourrait exporter partout en France ! (ndlr : ce serait grave trop génial les mecs, faites-le !)"
"Il y a énormément de talents ici, je serai incapable de tous te les citer, ce serait trop long ! J'te donne quelques noms en vrac : Dooz Kawa, Géabé, Rêve Errant, Harbor, Hexpir, L'école de l'Est, ... Il y a de plus en plus de jeunes qui sont incroyablement talentueux qui font du rap, dans le même mouvement que nous ... Alors ça fait plaisir de se dire qu'on ne fait pas qu'un truc de vieux !"

Pour conclure, je lui demande de me parler de son avenir : "Je suis déjà en train de bosser sur un projet plus long. J'aimerais bien faire un album qui sortirait au format physique cette fois-ci. Je souhaiterais réunir beaucoup de personnes pour celui-ci alors ça va prendre du temps ... J'ai mis beaucoup de temps à réaliser ce premier projet, alors j'espère enchaîner rapidement avec un autre, pour ne pas perdre cette dynamique."


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