jeudi 26 mai 2016

Samten Norbù : sa vie, sa créativité

Les œuvres de Samten Norbù peuvent revêtir milles facettes : du glamour rétro et burlesque à l'intimité d'un érotisme non feint, de la douceur d'une nudité choyée par un écrin de verdure à l'angoisse d'un esprit possédé.

Cette diversité de thème conserve pourtant son unité à travers le style unique de Samten, ce travail des couleurs, ce rendu luxueux, cette singulière écriture avec la lumière ...


Lieu : Sour and Sweet Tattoo. Avec : Morgane, Audrey et Sylvain.
Toutes les photos de cet article sont de : Samten Norbù.
"Je ne peux pas ne pas m'exprimer."

"Cela fait 10 ans que je suis passé pro."
"Je ne viens pas d'une famille qui était branchée photo. Je n'ai pas du tout baigné dans cette culture, les expos, ... On avait un jetable pour les photos de vacances, ça se limitait à ça."
"Ce n'est qu'à l'adolescence que ça m'a travaillé. J'avais pas mal d'amis qui faisaient de la photo alors je me suis acheté un petit appareil mais ce n'était que pour une production minime."
"Je n'ai jamais pensé devenir photographe ... J'ai une formation de publicitaire. J'ai d'abord tout quitté pour la musique. J'avais installé un home studio dans une grange à la campagne. Je passais mon temps enfermé à faire du son, de l'electro, qui ressemblait pas mal à du trip-hop."
"La musique, en fait, j'en jouais, au sens ludique du terme. C'est quand j'étais à Bruxelles que j'ai réalisé que les gens étaient plus touchés par mes photos que par ma musique. C'est là que j'ai décidé de faire une inversion : la musique comme loisir, la photographie comme métier. Je me montrais plus pugnace dans la photo que pour le reste."
Samten Norbù fait partie de ces artistes qui ressentent le besoin de créer, d'échanger, de transmettre des émotions. 
"Je ne peux pas ne pas m'exprimer. Que ce soit par la musique, la photo, la nourriture ..."
"Je me considère comme un medium, un moyen par lequel des choses passent."
"Provoquer l'émotion, c'est l'essentiel. D'ailleurs la photo est l'expression d'une émotion. Le travail de la photo, c'est la vanité, au sens de memento mori."

"J'ai fait relativement peu d'expos, et jamais dans les lieux institutionnels. Je n'intéresse ni les galeries ni les agences ... Je suis un peu un outsider !"
"J'ai déjà fait des expos dans des salons, j'ai eu des prix du jury dans différents concours ... Mais ça n'en reste pas moins difficile. J'ai fait face à de grands moments de questionnement ..."

"De par mon statut d'auteur, je n'ai que très peu droit de travailler pour les privés. A titre d'exemple, je ne fais qu'un ou deux mariages par an. Et si j'accepte les mariages, ce ne sont que ceux qui ont un vrai projet, où il y a un vrai échange avec les mariés."

"Je fais pas mal de shootings pour le plaisir, au gré des rencontres, ... Cela fait partie du vaste domaine qu'on appelle "collab" : on a envie de faire des trucs, de créer, mais on n'a pas d'argent."
"Pour les collabs, je demande aux gens de vraiment s'impliquer, de venir avec des idées, des lieux, des objets, ..."
"En fait, c'est un peu comme pour un wok : le plus important dans ce que je fais c'est de tout avoir prêt, tous les ingrédients, et, là, je peux mettre le feu. La séance en elle-même est le moment le plus court du travail. Il faut d'abord trouver la modèle, l'idée, le style, ... Tout est dans le préparatif. Un peu comme un concert d'une heure qui se prépare pourtant des mois."
"Je ne fais pas des photos tous les jours. Je ne me promène pas constamment avec un appareil photo. Je fais de la photo parce que c'est le moment, quand il y a de la maturité, quand le temps passé à préparer la séance le permet."



Des paysages rêveurs, des lieux abandonnés ravagés par le temps, une fille qui flotte en tenant un nuage, un couple de junkies évadées des seventies, un corps nu dans la nature, une créature étrange qui s'avance dans la pénombre angoissante, Codo Das Vegas sur une Harley, Sally Brown en sous-vêtements, ...
Tels sont les multiples sujets abordés par les œuvres de Samten Norbù. Son style unique, fabuleux, extatique, est presque impossible à définir. Quand on contemple ses photos, on reste sans voix.
Pour mieux comprendre cet artiste, et sa créativité, c'est à sa philosophie de vie qu'il faut s'intéresser.

"Tout s'imbrique : je ne pourrais pas faire de la photo sans la vie que j'ai."


"Soit on vit sa vie pleinement, soit on la consacre toute entière à un édifice. Encore faut-il savoir ce qu'on veut construire ..."
"Beaucoup de gens s'enferment dans un édifice vain, une vie normative. Bien sûr, on peut en tirer de la satisfaction. Mais quand je vois les réactions de ces personnes face à ceux qui, comme moi, n'ont pas la même vie qu'eux, cela me laisse perplexe ...
"Je me dis que s'ils étaient vraiment heureux, dans leur vie métro-boulot-dodo, enfant et maison, ils ne se montreraient pas si agressifs face aux autres."

Samten consacre sa vie à son art. Adepte du carpe diem, amoureux de la nature, il se confie sur son quotidien :
"Je ne comprends pas tout ce bashing sur les bobos alors qu'après tout ce sont des gens qui font des choses saines, naturelles. C'est plus qu'une hygiène de vie, c'est une vie d'hygiène au sens de vie saine. Je mange local, bio, j'utilise des produits nettoyants naturels, c'est tout un espace de choix qui débouche sur le bon sens."

"Je ne veux pas d'un travail au sens de tripalium, instrument de torture. Pour trouver l'inspiration, j'ai besoin de temps, de disponibilité. J'ai besoin de m'ennuyer. C'est de l'ennui créatif. Être à l'abris du besoin trivial rend disponible pour la créativité."
"Il y a eu des moments où j'ai enchaîné les petits boulots mais j'étais moins créatif, j'étais mort intérieurement. Ça me terrifie que tant de gens l'acceptent, qu'ils oublient leur moi lumineux pour ne plus mener qu'une course vers la tombe ..."
"Je vis dans une précarité choisie, je me contente de vivre avec peu, sans excès. Je mène une existence très monacale. C'est la vie austère qui permet d'atteindre l'épicurisme et le bonheur. Tu jouis des choses au moment où elles viennent à toi. Par exemple, j'attends la saison des fraises pour en manger, et je suis heureux d'en déguster à ce moment-là, contrairement aux autres qui en achètent tout le temps."



Samten a besoin de temps pour créer. Et c'est justement pour cela qu'on peut le trouver sur Tipeee. Ce site permet un financement participatif : chaque internaute peut choisir une somme à reverser chaque mois, même simplement 2 euros, à un artiste qu'il apprécie afin que ce dernier puisse vivre de ses créations.
"Je considère le Tipeee comme un échange, une interaction."
"Je me dis qu'il y a tellement de gens qui m'encouragent, qui visitent mon site, alors pourquoi attendre que je sois dans une galerie pour me soutenir financièrement ? Surtout que je n'y irai pas parce que je tiens un discours anti-élitiste."
"Les élites veulent l'exclusivité, elles veulent tout s'accaparer, et le cacher aux autres. Je suis tout l'inverse car je montre librement l'intégralité de mes oeuvres sur mon site."
"En plus c'est super encourageant ! On se sent engagé, quand quelqu'un nous donne 2 euros via le Tipeee. Ça m'aide de me dire qu'il y a des gens derrière moi qui me  poussent."
C'est d'autant plus important actuellement : "Comme les temps sont durs, la mise en place de projets est difficile ... Le problème c'est que depuis peu les entreprises n'ont plus de moyens, les restaurants ferment, les magazines aussi, ..."
"C'est pour cela que j'ai lancé la série Natural Nudes, où je photographie des femmes nues dans la nature. C'est un projet intéressant, et qui demande peu de financements."

Il évoque également un autre projet qui lui tient à cœur : Eros. Il photographie des femmes en train de se masturber. Il aimerait pouvoir montrer les corps dans leur singularité, les femmes dans leur intimité. Car chacune se donne du plaisir différemment. Et tout cet univers reste encore si peu exploré ...

Modèle : Sally Brown
Tenue : Boutique Lady Mistigris

Pour suivre Samten Norbù, vous pouvez consulter son site internet mais également sa page facebook.

N'hésitez pas à soutenir Samten sur son Tipeee !




dimanche 22 mai 2016

Dah Conectah : la rime comme "une arme de poing qui délie les langues"

Dah Conectah est un rappeur installé à Strasbourg. Il vient de sortir son premier EP, L'hiver arrive, un petit bijou de son, et surtout de poésie. Observateur de la société depuis sa bulle d'oxygène, il se sert de sa musique, sa prose magnifique, pour faire réfléchir, nous pousser à nous poser des questions, sans concession, sur nos pensées, sur ce qu'on fait, ou non. Il compare son micro à un stéthoscope capable de retranscrire les battements de son coeur.

Bienvenue, cher lecteur, dans la scène hip-hop strasbourgeoise, et l'univers de Dah Conectah, entre spleen et idéal ... 


L'hiver arrive
Le premier EP de Dah Conectah

"Le hip-hop ? Je connais depuis que je suis tout petit. Mon grand frère en écoutait pas mal. Alors j'en ai écouté aussi, tout simplement, du US surtout, mais aussi du IAM ou du Assassin."
"A 15 ans, j'étais dans mon premier groupe de hip-hop - reggae, le Satire Crew. Quand le groupe a splitté, j'ai continué mon chemin seul."
"J'ai fait le parcours inverse de l'artiste ... J'ai commencé par la scène bien avant de monter un quelconque projet, donc L'hiver arrive est réellement le premier."

Dah Conectah est un amoureux du hip-hop et, surtout, des musiques à texte. S'il rappe depuis plus de dix ans, ce n'est qu'au mois de mai 2016 qu'il a décidé de sortir son premier projet : L'hiver arrive, un EP poétique, mélancolique, doux et amer, triste mais fort, sublime, brillant.
Calme, souriant, Dah Conectah répond avec naturel et gentillesse à toutes mes questions. Quand il parle de la scène, on sent pleinement la fulgurante passion qui l'anime..

"Bien sûr j'apprécie tout dans le hip-hop, tout cet univers, toutes ses disciplines ... Je me suis moi-même essayé au beat-making par exemple, mais j'ai préféré me focaliser sur l'écriture."
"Mais j'écoute vraiment de tout, j'ai des influences qui viennent de plein de styles très différents. Tant que la musique me fait bouger la tête, c'est que c'est bien ! Je pense vraiment qu'il faut être ouvert aux autres, d'autant plus dans le hip-hop, car c'est un style qui mélange beaucoup de choses ... Ça me paraît logique de s'intéresser à ce qui se fait ailleurs ..."

Et qu'est-ce qui lui plaît tant dans le hip-hop ? "L'écriture m'intéresse depuis longtemps, c'est ce qui me plaît le plus au final. Je préfère la musique à texte à la musique à son. J'écoute les deux, évidemment, mais c'est vraiment la musique à texte qui m'a fait percuter, qui m'a donné envie de m'y mettre moi aussi."
Dah Conectah
(photo prise sur sa page facebook)
"Le hip-hop est un moyen d'expression qui peut être très influent. Il permet d'exprimer ta propre vision du monde, de dire des choses qu'on n'a pas l'habitude d'entendre, notamment dans les médias traditionnels. Ça permet vraiment de différer de tous ces discours, ces clichés qu'on nous offre, pour apporter une pensée différente, qui t'est propre."
Dans L'hiver arrive, Dah Conectah se fait observateur de la société, de la ville. Il dépeint certains personnages, des émotions, l'hypocrisie, la jalousie, la passivité, mais, surtout, il pose des questions :
"Je suis plus dans l'abstrait, les images. J'aime faire réfléchir, donner des clés pour penser, des indices sans jamais tout livrer en entier. C'est vraiment là-dedans que je me complais, j'aime agiter des choses, les faire miroiter, sans jamais complètement les donner."
"Je suis quelqu'un de souriant, j'aime l'humour, mais c'est vrai que dans mes textes, cela ne se ressent pas du tout, bien au contraire ! C'est comme si c'était une toute autre part de moi qui s'y exprime. C'est une forme d’exutoire aussi."

Il est vrai que les rimes de Dah Conectah sont sombres mais surtout franches et percutantes. S'appuyant sur ce qu'il voit, sur son vécu, il dépeint l'état de la ville, les causes et les conséquences de nos existences, dénonçant l'injustice, l'intolérance, les vérités de façade, la passivité des personnes qui se perdent dans les carcans d'une vie dénuée de sens et de bonheur ...

Il nous en dit un peu plus sur L'hiver arrive : "Mon premier EP a entièrement été produit par Goomar. J'ai l'habitude de bosser avec plein de DJ mais là je souhaitais qu'il n'y en ait qu'un pour donner une couleur unique au projet, qu'il forme comme un bloc. Je l'ai commencé en novembre de l'année dernière et il est sorti début mai. Il a été enregistré et mixé par Nano du label 3rd Lab. On peut dire que c'est un projet qui a été fait en famille, car j'ai travaillé avec des amis."
"La pochette a été réalisée par un Seku Ouane, un graffeur strasbourgeois qui est excellent, je suis fan de son boulot !"
Une précision s'impose (il fallait quand même qu'on en parle !) :"Alors à propos du titre, L'hiver arrive, ça n'a rien à voir avec Game of Thrones contrairement à ce que tout le monde s'imagine ! C'est plus une référence à un vieux morceau des années 70, When the winter comes ... Mais ce n'est pas dérangeant qu'on pense que le titre vienne de là, je trouve ça très drôle en fait !"

Dah Conectah au Beats'n'Vibes.
Crédit photo : Boris Merccion
Si Dah Conectah voue une passion à l'écriture, la scène aussi sait faire battre son cœur.
"C'est parfois compliqué au début, quand la salle n'est pas encore motivée, mais une fois que tout le monde est dedans, c'est génial ! J'aime discuter avec le public entre les morceaux, rebondir sur un truc qui vient juste de se passer devant moi, ... Cette part d'impro est super marrante ! J'aime ces moments de partage, de bonheur ! "
"J'ai fait mes premiers gros concerts avec Géabé que j'ai suivis pendant 4 ans. Ma première grosse scène, c'était quand on avait fait la première partie d'IAM, c'était vraiment marquant, parce que ce sont des personnes qui m'ont incroyablement influencé, qui m'ont donné envie de faire du hip-hop !"
"Il y avait aussi mon premier concert au Molo avec Dooz Kawa, la salle était pleine, on a halluciné, il y avait une ambiance de folie !"
"Mais il y a plein de petits concerts qui sont aussi très chaleureux. C'est même mieux parce que, contrairement aux grandes salles, tu peux voir le public, ses réactions, et interagir avec lui. Et ça, c'est vraiment top. De toute façon, j'adore faire de la scène, à chaque fois c'est cool !"
"Il y a pas mal de dates à venir ! Pour la fête de la musique je serai sur la Presqu'île Malraux, le 23 juin ce sera au Molo, le 25 juin aux Soirées d'été à Molsheim, ..."

"Le 12 août je participe au Demi Festival à Sète, organisé par Demi-Portion. Je sais déjà que ça va être une scène inoubliable ! Demi-Portion a organisé ça lui-même et il a invité tous les rappeurs français qu'il connaît, donc en gros tout le monde ! En 15 minutes, toutes les places étaient vendues alors qu'il n'avait fait aucune com', il avait juste crée un événement facebook ... C'est génial, ça prouve qu'on peut y arriver, tout en restant en plus indépendant !"

"Les concerts de rap souffrent encore d'une image extrêmement négative, alors qu'il y a chaque fois une super ambiance ! Je me souviens d'un concert au Django Rheinardt, il y avait un public très hétéroclite, des jeunes de 7-8 ans aux sexagénaires, et on a eu d'excellents retours ! Beaucoup de gens ont découvert notre musique, notre univers, et ils ont été agréablement surpris. Ils ont changé d'idée à propos du hip-hop, ils ne s'arrêtent plus aux caricatures qu'on leur sert habituellement."



Dah Conectah et Dooz Kawa
Coup de Trafalgar - Février 2016
Crédit photo : Ludo Pics Troy

On en vient à évoquer la mauvaise réputation qui colle à la peau du hip-hop :
"Il est toujours compliqué de redorer une image alors qu'il est si facile d'en décrier une ... C'est déplorable ..."
"Ça m'est déjà arrivé d'être confronté à des personnes qui déconsidèrent totalement le rap. Dans ce cas là, j'essaye de comprendre pourquoi, d'expliquer que la réalité est différente ... Mais si je me retrouve face à un mur, je ne me bats pas, je ne suis pas là pour casser des briques. Ça ne m'atteint pas plus que ça."
"Il y a eu une longue période de disette, de 2005 à 2011 environ. On a perdu la spécificité du hip-hop français, on s'est perdu dans une musique qui ne rime à rien, qui ne nous fait pas avancer. Maintenant beaucoup de personnes reviennent vers les chansons à texte, y compris des jeunes qui ne savent pas que ça a déjà été fait avant !"
"Je ne suis pas un dictateur de la musique à texte. J'adore l'instrumental ! Mais je suis content que cette forme revienne car j'aime quand le hip-hop est là pour dire des choses, pour moi, c'est ce qui est vraiment important."
"Je préfère les musiques intellectuellement intéressantes aux albums qui te font perdre des neurones quand tu les écoutes."
"Il y a des textes qui sont dangereux. Pas pour les adultes comme nous qui savons faire la part des choses, mais pour les jeunes, or c'est justement le public visé. Les jeunes intègrent ces paroles, ils les assimilent, ils ne font pas preuve de recul. Ils prennent tout simplement ce que les médias leur proposent, sans chercher ailleurs. Ces musiques là sont débilisantes, elles ne te permettent pas d'avancer dans ta vie."
"A côté de ça, il y a énormément de rappeurs qui mériteraient plus de visibilité, qui auraient besoin d'un coup de pouce ... Mais ce ne sont pas auprès de la majorité des médias qu'ils vont trouver de l'aide. Pour passer sur les grosses chaînes, il faut rentrer dans les standards, accepter de faire des compromis, des sacrifices. Les médias préfèrent montrer ce qui va marcher à coup sûr,  parce que ça rentre dans le moule, plutôt que de révéler des nouveaux talents qui font des choses différentes."

Dah Conectah au Trafalgar (2016)
Crédit photo  LKL Prod - Laurent Khrâm Longvixay


Et vu qu'on est quand même sur Rock'n'Art of Elsass ici, je ne peux pas m'empêcher de lui demander de m'en dire plus sur la scène hip-hop locale :
"Actuellement, à Stras, et même ailleurs, il y a une réelle unité entre les rappeurs, on est dans le même esprit, on veut changer la façon dont on voit le hip-hop, redorer l'image du mouvement."
"Il y a une scène vraiment importante à Strasbourg. On forme comme une grande famille : on se connaît tous, nos projets ont la même prod, ... On pense même à créer un plateau strasbourgeois qu'on pourrait exporter partout en France ! (ndlr : ce serait grave trop génial les mecs, faites-le !)"
"Il y a énormément de talents ici, je serai incapable de tous te les citer, ce serait trop long ! J'te donne quelques noms en vrac : Dooz Kawa, Géabé, Rêve Errant, Harbor, Hexpir, L'école de l'Est, ... Il y a de plus en plus de jeunes qui sont incroyablement talentueux qui font du rap, dans le même mouvement que nous ... Alors ça fait plaisir de se dire qu'on ne fait pas qu'un truc de vieux !"

Pour conclure, je lui demande de me parler de son avenir : "Je suis déjà en train de bosser sur un projet plus long. J'aimerais bien faire un album qui sortirait au format physique cette fois-ci. Je souhaiterais réunir beaucoup de personnes pour celui-ci alors ça va prendre du temps ... J'ai mis beaucoup de temps à réaliser ce premier projet, alors j'espère enchaîner rapidement avec un autre, pour ne pas perdre cette dynamique."


mardi 10 mai 2016

Ruby Schatzi : I love Pin-Up girls !

Ruby Schatzi, c'est d'abord une chevelure de feu, un rouge glamour, hypnotique ; et une attitude, classe et sexy, une façon de poser, de se tenir, de marcher, de sourire. Et puis un look parfait, robe moulante, faux-cil, eye liner et rouge à lèvre.
Plus que le rétro, c'est la séduction même qu'elle incarne, en icône de la féminité.
Effeuilleuse burlesque, membre des Pin-Up d'Alsace depuis trois ans, Ruby est un diamant pur de rock'n'roll, un rock pailleté, étincelant, un rock fun, érotique et dansant !



« J'ai toujours été originale, avec des looks décalés, des couleurs de cheveux improbables … J'étais un peu la rebelle de la campagne ! Eh oui, j'ai grandis dans un petit village. »
« C'est au lycée que j'ai découvert tout ce qui est pin-up, tattoo, notamment grâce à Bettie Page ! C'est à ce moment là que j'ai commencé à avoir le look de pin-up, avec la frange, etc. Et puis, en grandissant, mon look s'est affiné. »
« Je ne suis pas une puriste pour autant. Je fais les choses à ma manière, en mixant le rétro avec des éléments qui le sont moins. »
Et quelle musique correspond le mieux aux pin-up ? ...
« J'adore le rock'n'roll ! Depuis que je suis gamine ! Le rockabilly, le psycho, tout ! Le rock'n'roll et le hardrock, ce sont mes amours d'adolescente. »
« En fait, ce qui me plaît dans le rock'n'roll, plus encore que la musique hyper entraînante, c'est tout l'univers qu'il y a autour ! Les nanas toujours bien habillées, les belles voitures, … Et puis c'est un monde qui est beaucoup plus ouvert ! Dans le rock'n'roll, on trouve des gens simples, fun, ouverts d'esprit, qui veulent passer de bons moment, faire la fête ! J'adore cet état d'esprit. »

La fête et le rock'n'roll font pleinement partie de sa vie d'effeuilleuse burlesque :
« Moi ? Je fais la fête tous les soirs ! Mon boulot ? C'est la fiesta ! Je veux dire, bien sûr, c'est énormément de boulot, beaucoup d'entraînement, … Mais j'adore mon travail, c'est vraiment du plaisir pour moi ! En plus j'ai la chance de travailler avec mes meilleures amies ! »
« Coco, Luna et Lemm sont bien plus que de simples collègues, on se voit aussi en-dehors du travail, même si on ne fait que parler burlesque. On mange burlesque, on boit burlesque, on vit burlesque ! »
« Ce qui me plaît dans mon métier, c'est évidemment de monter sur scène, de danser, d'avoir de belles tenues, … Mais c'est avant tout le contact avec le public. Il y a vraiment quelque chose qui se passe, un lien qui se crée entre les spectateurs et nous. Quand le public est au taquet, quand toute la salle crie, applaudit, c'est juste parfait, c'est orgasmique ! »
« Avec les Pin-Up d'Alsace, on travaille énormément, on enchaîne les shows, et notamment les shows privés. On en fait 3-4 par semaine. On est tellement prise par les shows privés, qu'on n'a plus beaucoup de temps pour les spectacles publics. »
« De faire beaucoup de scène oblige à se renouveler constamment. Même si on a une presta qui est parfaitement bien calée, elle ne sera jamais la même, parce qu'on s'adapte au public, à la façon dont il réagit. Il peut m'arriver de saper un mouvement de la choré parce que je préfère montrer du doigt une personne dans le public, la regarder droit dans les yeux, jouer avec elle, ... »
« J'ai plusieurs numéros comme le « Bump and grind » qui est très classique, c'est de l'effeuillage 100% rétro, avec des mouvements de hanche très langoureux, des secouements d'épaules ou de poitrine. C'est très sexy et dynamique. Ce genre de danse, c'est l'équivalent du porno dans les années 40 – 50 ! »
« J'ai aussi un tout nouveau numéro qui plaît beaucoup, le « War dance », dans lequel je suis en tenue d'amérindienne. Celui-ci tient plus du New Burlesque, car il raconte une histoire, et il est réalisé sur une musique plus actuelle. »

« Je me dis qu'aujourd'hui, si je n'avais pas le burlesque, je ne serais pas grand chose. Déjà, je n'aurais
jamais rencontré mon chéri, ni mes meilleures amies ! »
« Grâce à mon travail, je rencontre plein de personnes formidables, je fais plein de choses fun ! Je me sens vraiment épanouie. J'ai l'impression d'être pleinement faite pour ça. J'ai énormément de chance ... »
« Bien sûr, je ne me suis jamais dit que j'allais devenir effeuilleuse burlesque ! Je ne pensais même pas qu'on pouvait en faire son métier ! Mais je savais que j'allais faire quelque chose d'original, de différent ... »

« A l'époque, je cherchais à reprendre la danse, après une période d'arrêt. Et je me suis dit que ce serait sympa d'avoir une activité en rapport avec ma passion pour les pin-up. Alors j'ai bêtement cherché sur internet et je suis tombée sur les cours de Luna Moka, à la Luna Moka's burlesque school. J'ai vu des vidéos, des photos, toutes ces nanas me paraissaient tellement belles, inaccessibles … J'ai quand même pris mon courage à demain et j'ai appelé Luna. Je suis tombée sur le répondeur, je lui ai laissé un message pour lui dire que je souhaitais participer à un cours et … Elle ne m'a jamais rappelé !
« Au bout de deux semaines, je me suis à nouveau lancé, et j'ai envoyé un mail pour m'inscrire à un de ses cours. Un mois après, je faisais ma première scène aux côtés des Pin-Up d'Alsace. Je me dis que si je n'avais pas eu le courage d'insister en lui envoyant un mail, rien de tout ça ne serait arrivé ! »

Retrouve Ruby Schatzi sur sa page facebook et celle des Pin-Up d'Alsace !




mardi 3 mai 2016

Shibari et BDSM : J'ai rencontré un encordeur

J'ai toujours été fascinée par le shibari, l'esthétique, la sensation, les cordes, la contrainte, le plaisir. Alors quand l'occasion s'est présentée de rencontrer un encordeur, je n'ai pas hésité une seconde, désireuse d'en savoir plus, sur cette pratique, sur tout cet univers intriguant, passionnant, si sensuel. C'était pour moi comme un besoin, un appel.
Et, en dépit du fait que je sois une vanille (ça veut dire que t'es pas du milieu), j'ai été accueillie avec une très grande gentillesse. L'encordeur que j'ai interviewé, Fenikkusu, a répondu à toutes mes questions avec franchise, simplicité, et une ouverture d'esprit des plus admirables.
Je te sens désireux d'en savoir plus, alors je me tais, je vais le laisser te parler !

Fenikkusu
Photo : Instant T
(Toutes les photos m'ont été remises par Fenikkusu, après avoir demandé l'autorisation de les publier à toutes les personnes concernées)
"Je suis le responsable du chapitre de l'est de l'Anneau de Justine. Cette association a été fondée en Bretagne par Maître George. On essaye de s'organiser, de fédérer toujours plus de monde, d'organiser des soirées, ... A l'image des munchs par exemple, que j'organise sur Strasbourg avec Balkis également, une domina", m'explique Fenikkusu. "Je fais aussi partie de la communauté LesCordesLestes (c'est par ici pour ceux qui ont un compte fetlife) avec qui j'ai appris beaucoup de choses, et nous organisons également des ateliers."
"Les munchs? C'est simple ! Ce sont des rencontres autour du BDSM. On se retrouve dans un bar ou un resto, et on discute. C'est très bon enfant. On ne vient pas à un munch pour draguer ou quoi que ce soit, mais pour échanger sur nos pratiques. Les débutants sont aussi acceptés. Il y a déjà des curieux qui sont venus, simplement pour en apprendre plus. Des couples qui s'amusent dans leur chambre, avec des cordes, ou un martinet, et qui s'interrogent sur leurs pratiques, qui aimeraient peut-être aller plus loin."
"Les munchs se déroulent dans toutes les grandes villes de l'Est : Strasbourg, Munster, Metz, Mulhouse, ..."
"Le Marquis de Sade est français quand même ! Et pourtant, en France, nous sommes très mal organisés ! A titre d'exemple, en Allemagne, il y a des rencontres toutes les semaines, ils sont même à la limite d'être politisés afin d'être reconnus."

Knife play, fire play, waterboarding, barbelés, ...

Je demande à Fenikkusu de revenir rapidement sur son parcours : "J'ai commencé comme libertin. J'ai peu à peu glissé vers la fessée, puis, progressivement, vers les cordes. Cela fait un an environ que je m'y consacre pleinement."
Modèle : Justine Redcurl
(soumise de Maître DarkMador)
"J'ai appris tout seul, en regardant des vidéos et en m'entraînant chez moi. Par la suite, j'ai aussi participé à des workshops à Paris, à la Place des Cordes, ainsi qu'à divers ateliers à droite à gauche pour pouvoir échanger, et en apprendre toujours plus !"
"Je recherche constamment de nouvelles choses. Certaines personnes cherchent à se spécialiser mais ce n'est pas mon cas, je préfère toucher à tout."
Le BDSM regroupe toutes sortes de pratiques très variées : bondage, fessée (tu savais qu'il existe des cours pour apprendre à donner des fessées ?), le waterboarding (la sensation de noyade), le knife play (qui peut aller de l'effleurement jusqu'au sang), le fire play, la cire de bougie, le cellophane (on peut emballer entièrement une personne dans du cellophane), l'électro (on trouve des kits électro dans les sex-shops), ...
"On peut tout à fait cumuler différentes pratiques. J'ai prochainement une soirée de prévue sur Toulouse où je vais faire plusieurs choses en même temps : barbelés, cire, fireplay."
"La prochaine chose que j'aimerais maîtriser ? Le fire play ! Au final, on ne cesse jamais d'apprendre ... Le BDSM est tellement vaste, et la douleur n'est jamais la même."
"On peut faire tellement de choses ! On peut détourner tous les objets du quotidien !" m'explique Olympe, la soumise de Fenikkusu.
Ce dernier précise : "tout peut être détourné, la pince à linge, le crochet de boucher, ... Par exemple, on peut simplement dire à la soumise de se mettre à genou sur un balais (là, il a un petit ricanement légèrement vicieux). Et il ne faut pas hésiter à aller dans le plus grand magasin BDSM du monde : Décathlon ! Les cravaches y sont beaucoup moins chères que dans les sex-shops !"

Shibari : "Les cordes ne sont pas forcément liées à la douleur, à la domination, il s'agit plus d'une recherche philosophique. "


"Il y a plusieurs courants autour des cordes. Il y a le bondage américain, c'est-à-dire la capture rapide, qui n'est pas très graphique, pour laquelle il n'y a pas vraiment de recherche. Et il y a le shibari japonais, qui est tout à fait différent."
Modèle : Olympe
"Selon moi, les cordes font pleinement partie du BDSM mais certains aimeraient distinguer les deux. Les cordes ne sont pas forcément liées à la douleur, à la domination, il s'agit plus d'une recherche philosophique. "
"Avec le shibari, la connexion entre les personnes est beaucoup plus forte, et il y a vraiment une recherche qui se fait. La personne encordée se sent libre, elle fait un voyage intérieur. Il y a beaucoup de choses qui remontent quand on est encordé, des souvenirs souvent très forts."
"Par exemple, on ne peut pas sortir en coupant les cordes d'un coup. Cela blesserait la personne intérieurement. Je prends beaucoup plus de temps pour enlever les cordes que pour les mettre. Il faut écouter la personne, voir comment elle réagit, il faut jouer, caresser, tout à coup resserrer ..."
"Il faut être très attentif car la personne peut partir, elle a une telle dose d'endorphine qu'elle devient comme shootée, elle est alors incapable de dire si elle a mal dans le bras par exemple."
C'est ce qu'on appelle le sub-space : "c'est un état de conscience modifié, une sorte de transe dans lequel le soumis entre. Mais on trouve la même chose chez les dominants ! On est tellement dans le contrôle, c'est si intense, qu'on part ensuite."
"L'aftercare, c'est rester avec la personne, attendre qu'elle remonte. Quand on quitte les cordes, il est vraiment important de rester avec la personne qu'on a encordée. Si on la laisse seule, elle risque de faire une mauvaise descente."

Semi-suspension, suspension inversée, suspension latérale.

"Il y a quelques modèles qui me contactent pour le shibari, pour des séances photos, mais aussi des personnes simplement intéressées par cette pratique. Dans tous les cas, je discute d'abord pour savoir ce que la personne recherche."
"On peut faire en sorte que ce soit juste joli, mais on peut aussi rechercher de la douleur. On peut jouer sur l'équilibre et le déséquilibre, mettre la personne en difficulté. Ce que j'aime beaucoup par exemple, c'est la semi-suspension, quand la personne ne touche plus le sol qu'avec le genou, ou la pointe des pieds. Je la balance à droite, à gauche, et elle cherche désespérément l'équilibre. Il y a aussi la suspension inversée ou la suspension latérale ..."
John (partie d'urbex)
"Il faut cependant être conscient que la suspension, ce n'est pas pour les débutants. Il faut que les deux soient expérimentés, car on ne peut jamais savoir comment l'encordé va réagir. Et de toute façon il ne faut pas oublier qu'on peut déjà faire beaucoup de choses "au sol", j'entends par là par terre, sur un lit, sur une chaise, ... C'est par là qu'il faut commencer."

Cordes en coton, en chanvre ou en jute.

"On peut utiliser différentes sortes de cordes, faites de différentes matières et de diamètres variables. Il y a les cordes en coton, celles qu'on trouve le plus fréquemment dans les sex-shops, mais elles sont à bannir si on veut faire de la suspension !"
"Il y a les cordes en chanvre, mais je les trouve trop lourdes et moins rapides en main. Je préfère celles en jute, mais d'autres peuvent ne pas être de mon avis. Je trouve que le jute chante, qu'il vibre. Si je glisse mon doigt sur la corde, elle va vibrer sur tout le corps de l'encordée. "
"On peut les acheter toute faite ou bien les fabriquer soi-même, en achetant des rouleaux et en les découpant comme on veut. La taille parfaite, pour une corde, c'est 8 mètres. J'en fabrique et j'en vends également."
"Pour ce qui est des anneaux, on utilise ceux qu'on veut. Personnellement, j'ai des anneaux de gym ! En revanche, pour les mousquetons, il faut veiller à en prendre des assez plats pour éviter que les cordes se chevauchent."

"Il faut que la personne que tu as en face de toi soit consciente qu'un accident peut arriver à tout moment."

"Il faut garder à l'esprit que cela reste une pratique à risque. Une corde mal placée, et tu peux avoir des fourmis pendant six mois ..."
"Quand j'encorde une personne et qu'elle se plaint d'avoir des fourmis, je lui demande d'être très précise. Si c'est au niveau de la main, elle doit me dire quel doigt, afin que je sache quelle corde bouger ..."
"Il faut que la personne que tu as en face de toi soit consciente qu'un accident peut arriver à tout moment. Il faut faire attention au moindre problème physique mais aussi psychologique. Par exemple, on ne peut encorder une personne dans un état dépressif ... C'est d'ailleurs pour cela que le dialogue est primordial, aussi bien dans l'avant que dans l'après."
"Quand on encorde, il est nécessaire d'avoir toujours avec soi :
-de quoi couper les cordes rapidement
-de l'eau
-une couverture"
"La couverture est nécessaire car, quand les cordes quittent le corps de la personne, elle devient frigorifiée."
"On ne peut pas aller vers n'importe qui, il faut se renseigner d'abord, pour être sûr que la personne sache ce qu'elle fait, car, je le répète, c'est une pratique à risque. C'est pour ça que le mieux est d'abord de se rendre à un munch, pour pouvoir discuter."
Fenikkusu vous recommande de consulter ce site ou de télécharger ce guide (pdf) pour en savoir plus sur les règles de sécurité à respecter.
Embarbellement par Fenikkusu
A gauche : Oniki
A droite : Shalimée

Les barbelés

A la place d'utiliser des cordes, on peut aussi utiliser des barbelés, oui, des vrais, et oui il y a du sang qui coule (je le précise parce que, quand j'en ai parlé à des amis, ils ne me croyaient pas).
Fenikkusu a déjà eu l'occasion d'embarbeler deux femmes lors d'une soirée BDSM à Toulouse, le clou du spectacle étant une couronne de barbelé posée sur la tête !
On commence par les mollets et on monte progressivement. Une sensation de chaleur accompagne le mouvement et la personne s'arrête vite de bouger.
"Pour les barbelés, il faut au moins être à trois ou quatre. S'il y a le moindre problème, il faut tout de suite quelqu'un prêt à aider ! Ce n'est évidemment pas une pratique à mettre entre toutes les mains ... A ma connaissance, nous ne sommes que deux en Alsace à le pratiquer."



Et Fifty shades of grey dans tout ça ? (joke)

"50 shades of grey nous a fait une très mauvaise presse, car c'est un roman à l'eau de rose, éloigné de la réalité. Cela casse l'image du dominant. Beaucoup de nanas s'intéressent au BDSM simplement pour chercher un mec, sans rien connaître du milieu, sans être avertie, or ce milieu n'est pas fait pour elles ..."

John (lors d'une partie d'urbex)