mardi 12 septembre 2017

Jessica Preis et ses crazy vulva !

C’est rue Sainte Madeleine que j’ai rencontré Jessica Preis pour la première fois, il y a un peu plus d’un an. Elle participait à une expo, La Beauté des travers, en compagnie de Solène Dumas, Justyna Jedrzejewska et Léontine Soulier. 

Ses œuvres m’ont tout de suite charmée autant qu’interrogée. Des bustes féminins brodés de fleurs ou d’encres, des utérus présentés comme des strings rose pâle et rouges accrochés sur des cintres indiquant S, M ou L, des photographies d’un broyeur dans lequel sont pris au piège ces mêmes utérus. Elle porte un regard intéressant sur les femmes, leur corps et plus largement sur de nombreux tabous qui régissent la société.

Jessica Preis est une artiste féministe, sensible à l’écologie, une passionnée d’art qui sait se faire aussi poétique que déroutante. Une très belle personne qui fait preuve d’une intelligence fine et d’une ouverture d’esprit admirable dans chacune de ses réflexions.

Rencontre avec Jessica Preis, artiste plasticienne et scénographe.


Série Mes Hystériques, 2014, tissu, fil, coton
Crédit photo Blandine Rolland (installation sur un chariot de ménage)

J’aime promouvoir l’art qui me plaît



Comme à mon habitude, je commence l’interview en demandant à l’artiste de revenir sur son parcours. Elle m’explique :

« Après le bac, j’avais décidé de faire mes études dans la pub mais ça ne m’a pas plu. C’était un univers trop capitaliste et pas assez artistique. Ça ne me correspondait pas du tout, j’étais très déçue et j’ai vite arrêté. » 
« Alors j’ai décidé d’aller à la Fac des Arts à Strasbourg parce que je me suis dit que l'art devait entièrement faire parti de ma vie. J’ai toujours aimé l’art, il tient une place considérable dans mon existence. J’ai fait une Licence puis un Master recherche. Parallèlement à la fac, je faisais du bénévolat d’accrochage ponctuel dans des galeries. » 
« Mes études finies, je me suis mise à exposer moi-même. J’ai exposé à La Station, dans un local de la rue Sainte-Madeleine, à la Spacejunk de Lyon, à la Maison Bleue, à la MISHA … J’ai aussi organisé des expos. J’investis beaucoup le shop de Seb pour des expos ; je m’occupe de tout, l’organisation, l’info, la communication, … »
Série Bustes, 2015-2016, tissu, fil, colle d'amidon, échelle 1 Crédit photo Karina Perepadya1


Seb, le chéri de Jessica, est tatoueur à Two Aces Tattoo Club situé au Neudorf. Elle y a déjà dévoilé les œuvres de plusieurs artistes comme le photographe Kick My Oldie, Paule Brun ou encore Rac'Hell Calaveras. Elle m’explique :

« Seb et son collègue avaient déjà lancé le principe des expos et ils m’ont donné la suite, ce qui leur permet de mieux se concentrer sur le tattoo. Ce ne sont pas de grosses expos, c’est sûr, j’ai un budget modeste, mais cela me plaît énormément ! » 
« Parallèlement, je travaille dans une galerie d’art située Rue de la Course à Strasbourg. »

Jess trouve en la présentation d’autres artistes une source d’épanouissement :

« J’ai vraiment pris goût à ça. J’aime donner aux autres. J’ai réalisé d’ailleurs que je préfère mettre en avant d’autres artistes plutôt que moi-même. Et puis je trouve important de promouvoir des personnes talentueuses ; il y en a trop qui ne se montrent pas assez, c’est vraiment dommage. » 
« Et puis joindre l’organisation d’exposition avec ma propre création d’art est quelque chose que j’adore, même si ce n’est pas toujours facile de pouvoir faire les deux ! »

J’ai trouvé dans le tissu le médium qui me permettait de m’exprimer



Venons-en justement à sa propre pratique artistique. Jessica pratique l’art textile, un domaine qui m’est peu familier. Je lui demande d’où lui vient cette passion pour le tissu :

« Quand j’ai commencé à la Fac des Arts, j’avais une pratique artistique multiple. Je répondais aux projets qu’on me donnait. J’ai commencé à me trouver lors de ma dernière année de Licence ; on avait un thème libre mais il ne fallait utiliser qu’un seul medium et j’ai choisi le tissu. Ça a été une révélation ! J’ai trouvé dans le tissu ce qui me permettait de m’exprimer davantage, de façon plus juste. Je travaille à la main car, quand j’utilise une machine, je me sens plus réduite dans ma création. »
« De coudre, en revanche, m’apporte une très grande liberté ! J’aime modifier la structure du tissu, par exemple avec de la colle d’amidon, la déconstruire, dessiner dessus avec de la broderie, jouer avec les volumes, … Il y a vraiment plein de possibilités. Et puis je reçois aussi des conseils de Seb pour les ombrages, etc. »

CRAZY VULVA PROJECT Burlesque Vulva, 2017, soutien-gorge, tissu, fil, perle, plume.


Je la félicite d’ailleurs sur le très beau couple qu’ils forment. Deux artistes ensemble, c’est quand même super sympa !
« Il est vrai que c’est quelque chose que j’ai toujours recherché, d’être en couple avec un artiste. On se comprend, on respecte la passion de l’autre, son implication. On ne va pas se reprocher entre nous le temps qu’on passe pour notre passion mais, au contraire, on s’encourage. »


Questionner les tabous, les normes



A travers le tissu, Jess a trouvé l’art qui lui correspondait, un moyen de s’épanouir dans sa création et de s’exprimer avec justesse et plaisir sur son sujet de prédilection :
« J’aime questionner le corps des femmes, les tabous, les normes de beauté occidentales. »
Elle m’explique qu’elle se considère comme étant féministe sans pour autant souhaiter se rattacher à un courant spécifique :

« Il y a tellement de formes de féminisme ! Je ne connaissais pas trop historiquement ce mouvement avant de m’y pencher de manière assez poussée pour mon Master… Je ne me rattache pas à un courant féministe précis, je préfère piocher dans chaque. On peut vivre le féminisme au quotidien sans être accolé à un mouvement. »
Jessica Preis, Efflorescence, broderie sur toile, 2016,
 PROJET VENUS de la galerie SPACEJUNK, Lyon
crédit photo Xavier Topalian

Son féminisme se retrouve en tous cas pleinement dans ses œuvres qui interrogent les spectateurs et les poussent à réfléchir :

« Les gens ne comprennent pas toujours mes créations mais je leur explique ; ils me posent des questions, ils s’intéressent. Les femmes semblent plus sensibles à mon travail. Peut-être qu’il leur parle plus. »
« Ma série sur les vulves a un peu dérangé. On est plus habitués à dire « bite » toutes les deux minutes que « vulve ». Les gens sont un peu gênés parce qu’ils ne sont pas habitués. Et je dois dire que j’aime bien perturber ! J’aime l’idée que mon travail puisse amener les gens à se poser des questions, à réfléchir. Si je peux les tracasser ne serait-ce que quelques minutes, je suis contente. L’art peut aussi servir à ça. »
CRAZY VULVA PROJECT Golden vulva, 2017, soutien-gorge, tissu, fil, perles


Jessica réalise en effet des vulves délicates et pleines de couleurs à partir de soutiens-gorge qu’elle transforme entièrement. Pour sa série sur les bustes féminins, elle avait effectué des moulages de poitrines d’amies à elle qui s’étaient portées volontaires. Elle tenait absolument à ce que ses œuvres soient réalisées à partir de vrais corps, tous différents, ce qu’on peut relier à sa façon de penser très body positive.

Elle précise :

« Je vois mon travail artistique aujourd’hui plus comme un cheminement, une gestation qui vient de plein de choses. Tu pars quelque part, tu reviens, mais le sujet ne te quitte jamais. Il y a tellement de choses à dire sur les femmes et leur place dans la société ! Tellement de choses à changer ! »

Homme, femme, vision binaire


Ce sujet m’intéressant très particulièrement, je lui pose de nombreuses questions auxquelles elle répond avec une grande gentillesse et beaucoup de pertinence :

« Dès qu’il y a une avancée, il y a une régression en même temps. C’est ce qui s’est passé lors du mariage pour tous : on propose une loi positive et, immédiatement, des gens ont manifesté contre… Et je ne te parle même pas de ce qui se passe aux États-Unis et dans tant d’autres pays ! »

« En France, je trouve qu’on stagne. On est ancrés dans une routine au niveau des mentalités, on colle beaucoup au rôle que la société nous attribue. »

« Je me demande d’ailleurs comment la société peut évoluer quand on voit la place que les femmes tiennent dans de trop nombreux clips musicaux, pour ne citer qu’eux. Je n’ai pas la télé chez moi, je ne la vois que quand je vais au sport… et je me dis que je suis bien contente de ne pas l’avoir à la maison ! »

« Dans leur vision, si tu es une femme tu es vue comme un vagin, tu es obligée d’être disponible. Les femmes subissent de nombreuses pressions sociales. »
CRAZY VULVA PROJECT Pearly whites vulva, 2017, soutien-gorge, tissu, fil, perles, dentelles


Le harcèlement de rue est évidemment un très gros problème :

« Trop d’hommes ne le comprennent pas. Ça les touche quand ça arrive à un de leur proche mais sinon ils agissent comme n’importe quel connard qui veut contrôler les femmes. C’est désolant ! » 
« J’aimerais bien pouvoir un jour sortir de chez moi sans avoir à me demander ce qui va m’arriver, qui va encore m’aborder. Juste sortir tranquillement, marcher normalement dans l’espace public. » 
« Les hommes sont à l’extérieur, les femmes à l’intérieur, c’est un cliché qu’on apprend dès qu’on est petit dans les contes, les dessins animés. » 
« Mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de normes qui pèsent sur les hommes. Au final, c’est cette vision binaire qui nous mine tous. » 
« Pour moi, il y a une véritable différence entre le machisme et la virilité. Je trouve qu’un homme qui assume sa féminité est très viril car il est en accord avec lui-même, il dépasse les pressions sociales pour vivre comme il l’entend. »

S’aimer comme on est



Jessica mène donc une réflexion intéressante sur le genre et la sexualité, sujet qu’elle aimerait pouvoir un jour aborder dans son art d’une manière encore plus intime :

« Tu sais, j’ai plein de projets personnels. J’ai notamment un projet en tête sur les pratiques sexuelles et ses tabous, ce qu’on devrait faire ou ne pas faire quand on est un homme ou quand on est une femme. Il demande de la maturation, je ne pourrais pas le faire tout de suite, mais j’y pense régulièrement. C’est lié aux normes du corps et ce qu’on fait avec. C’est quand même incroyable de réaliser qu’il y a des règles qui existent même dans la sexualité. Alors que ce qui est important c’est juste d’être consentant, d’être bien, d’être épanoui ! Il est évident que le sexe demande d’assumer pleinement certaines choses. Certains n’y arrivent pas toujours. »

« Je réalise souvent que quand les gens ne sont pas bien avec leurs corps, ils en veulent aux autres. Ils aimeraient être aussi libérés que les autres mais ils ne le sont pas alors ils vivent dans une constante frustration. Et ils t’en veulent à toi, parce que toi tu as osé sortir du moule et pas eux. Tu vois, je suis sûre que le pire homophobe est en fait un gay refoulé. »

Sans titre, 2016, tissu, fils à coudre

Au final, Jessica tient un discours très positif. Si elle critique le carcan dans lequel le monde actuel nous enferme, elle n’en invite pas moins les gens à s’en libérer pour s’épanouir enfin en toute sérénité :
« Les autres peuvent nous faire très mal, par leurs regards, leurs mots, leurs jugements. On éprouve de la douleur à cause d’eux, à cause de la société, on angoisse à cause de ce qu’on est censé être ou ne pas être, on se demande si on agit bien comme on est supposé le faire … »
« Mais ce qu’il ne faut pas oublier c’est qu’au final on est tous complexés par quelque chose, mais on est comme on est, et peu importe ce que la société tente de nous imposer, on n’en reste pas moins nous-mêmes. On n’a qu’une vie après tout, alors autant s’aimer tel qu’on est tout simplement ! »
CRAZY VULVA PROJECT Vulve à la perle, 2017
soutien-gorge, tissu, fil, perle, fleur artificielle, boules de Geisha.


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